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Compte-rendu : Les couleurs de rêve - Philippe Bianconi en récital aux Serres d’Auteuil

Philippe Bianconi ne cache pas avoir mis du temps avant d’entrer dans les Mazurkas de Chopin et de les inscrire au programme de ses récitals. Il peut en tout cas désormais se frotter sans hésitation à ce corpus, intimidant pour beaucoup d’interprètes – Lipatti ne confiait-il pas à Magaloff qu’il avait l’impression d’être « un éléphant en pantalon de dentelle » lorsqu’il touchait à une mazurka ? On avait pu apprécier Bianconi dans ce répertoire lors d’un concert Chopin au Festival Piano aux Jacobins de Toulouse l’an dernier ; le cahier de Mazurkas op 24 par lequel il commence son récital aux Serres d’Auteuil attise l’envie de le voir revenir souvent à ces fabuleuses miniatures.

Dès les premières notes de la Mazurka en sol mineur, Bianconi est au cœur du sujet. Justesse du ton : ici, comme dans les trois pièces qui suivront son sens des caractères fait mouche, tandis que son intelligence du texte le conduit à souligner, sans jamais se faire insistant, les audaces d’écriture du Polonais.

Les Davidsbündlertänze figurent depuis longtemps au répertoire d’un artiste qui les enregistra en 1997 pour Lyrinx. A l’époque déjà, Bianconi se révélait pleinement maître de la logique et des délicats équilibres d’un Schumann idéal pour le poète pianiste qu’il est. Rien n’a changé de ce point de vue, mais les années lui ont permis d’approfondir sa vision, d’ouvrir des horizons plus secrets, d’oser plus radicalement le vertige de certaines pages - avec une main gauche d’une profondeur parfois abyssale.

La création de deux extraits du Livre II de En Pièces de Marc Monnet trouve naturellement sa place dans le voisinage des ouvrages romantiques choisis par le pianiste. Le travail sur le timbre domine « du mouvement, de la résonance, du silence », lente et mystérieuse procession où le «pinceau » du musicien fait appel à des teintes de plus en plus sombres. L’étrangeté habite aussi « jeux d’eau » : rien des scintillants reflets chers à l’impressionnisme musical ici, mais étrange plongée dans les profondeurs de l’onde. Deux belles et prenantes pages, dédiées à leur créateur.

Le mot de la fin revient à Liszt avec la Mephisto Waltz n°1. Qu’il est bon, après avoir si souvent entendu cette partition virer au grand bastringue virtuose (dans les concours de piano en particulier), de la découvrir, parfaitement dominée, avec la distance un brin ironique qu’y met Philippe Bianconi. Du grand art, très simplement.

Alain Cochard

Paris, Serres d’Auteuil, 19 juin 2010

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Photo : DR
 

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