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Compte-rendu - Leçon de style - Manon à l’Opéra de Nantes

Manon, qui fit autant que Werther - peut-être plus encore en France - pour la popularité de Massenet reste un opéra dangereux. Son ton et son art uniquement hexagonaux sombrent dès qu’on essaye d’en faire un drame lyrique, ce qu’il n’est pas, se réclamant des formules de l’opéra-comique, même si Massenet n’y recourt que peu aux dialogues parlés. Il n’est pas plus une simple comédie sentimentale. Manon supporte moins que d’autres – Werther justement, mais aussi Thaïs – de ne pas être chanté dans un français parfait. Question de style et de diction donc.

C’est exactement la focale choisie par Renée Auphan et Yves Coudray : leur beau travail dans les décors impeccables de Jacques Gabel qui savent éviter le monumental même à Saint Sulpice, et suggérer la tension dramatique de la salle de jeu de l’Hôtel de Transylvanie par un grand miroir trouble où tout semble se décomposer, et les costumes sans pacotille de Katia Duflot, nous immerge chez l’Abbé Prévost tout en permettant la délicate translation vers l’opéra comique du XIXe d’une intrigue qui tout du long doit sonner XVIIIe. Par quelques éléments signalétiques l’orchestre de Massenet s’en charge, et pas seulement dans le Cours-la-Reine, surtout mené droit et élégant comme Cyril Diederich le fait malgré quelques faiblesses d’ensemble ici où là. Mais c’est d’abord un ton très particulier, pris dans la prosodie de la langue, qui doit y régner.

Ici pas de place pour l’affectation ou le trait chargé. Combien de Manon minaudent ? Toutes presque, même Los Angeles en son temps faisait sa coquette plus que de raison. Hors il ne faut pas. Burcu Uyar, déjà remarquée in loco voici quelques saisons pour une flamboyante Reine de la Nuit, sera toujours plus déchirée par son attirance pour les beaux diamants que gourmande de ceux ci, détruite progressivement par sa nature qui l’éloigne de son Des Grieux. Incarnation toute en nuance, sans effet de cocotte, qui montre à quel point la voix s’est développée, toujours aussi agile pour les vocalises du Cours- la-Reine, mais nourrie par un médium admirable qui cerne sans effet le côté plus sombre du personnage. Où a-t-elle attrapé ce français exemplaire ?

Marc Laho est admirable de noblesse, de simplicité, refusant les débordements sentimentaux que des théories de ténors ont versés sur Des Grieux. Son rêve sans pâmoison sonne vrai, ses tortures spirituelles à Saint Sulpice sont un dilemme et jamais du théâtre, la ligne de chant, très centrée, naturellement noble, évoque Vanzo, assise sur une diction exemplaire et se garde de chercher dans l’aigu des effets que Massenet ne voulait pas.

Toute la vaillante troupe s’accorde à ce diapason, du père Des Grieux jamais sentencieux de Christophe Fel, au Guillot de Morfontaine sans charge de Rodolphe Briand qui se garde bien d’un numéro à la Sénéchal : le venin de son personnage n’en est que plus mortel, et son triomphe à l’arrestation de Manon a quelques chose de glaçant. Parfait trio de courtisane, exemplaire Lescaut d’Hugues Russel, campant tout en beau chant son personnage velléitaire ballotté comme sa cousine par les caprices de la fortune, très séduisant Brétigny (Marc Scoffoni), Massenet retrouvait une vraie troupe et un style que même à l’Opéra de Paris on n’a plus.

Manon il est vrai avait connu sa postérité à Favart où voici vingt ans encore on pouvait s’émouvoir au portrait parfait qu’en donnait Leontina Vaduva. Burcu Uyar fait mieux que marcher dans ses traces, elle ressuscite cette manière de perfection si émouvante.

Jean-Charles Hoffelé

Jules Massenet : Manon – Nantes, Théâtre Graslin, le 1er octobre 2009, puis les 4, 6 et 9 octobre, ensuite le spectacle se voit au Quai à Angers les 16 et 18 octobre.

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Photo : Jeff Rabillon
 

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