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Compte-rendu - Le Trouvère à Genève - Retour de flamme


On se dit souvent, à subir tant de mornes tentatives où la dynamique fiévreuse, la largeur de la musique de Verdi semblent perdues ou durcies au fil de visions trop intellectuelles, que le moule est cassé. Merveille, l’ultime production de Jean-Marie Blanchard au Grand Théâtre de Genève retrouve enfin l’abscisse et l’ordonnée du perpetuum mobile verdien, qui fait battre la musique au rythme du cœur.

La réussite de ce sombre Trouvère, aujourd’hui un peu délaissé pour son amas mélodramatique d’horreurs - bûcher, hache, poison, brandis par une vengeance animale- tient à la sobre efficacité de la mise en scène, due à un nouveau venu sur cette scène, Stephen Taylor, lequel a fait ses classes avec Pierre Strosser : c’est dire qu’il a été mis à l’école de l’essentiel. On peut mettre un bémol à la transposition d’un XVe siècle fumeux certes, dans le contexte obligé d’une Espagne franquiste, ce qui ascétise encore un peu plus l’austérité du propos sans l’éclairer véritablement. Mais le décor, fait de motifs géométriques oppressants, juste percés de meurtrières et fragmentés de plans superposés, cadre puissamment et intelligemment les temps forts du drame.

Et surtout, atout infiniment précieux, l’interprétation réunit un carré d’as, dominé par la bouleversante Leonora de Tatiana Serjan, jeune Pétersbourgeoise que Jean Marie Blanchard a pu entendre dans ce rôle à Bregenz. Un timbre doré, un léger vibrato qui ne tient encore que du frémissement et donne de l’émotion aux envolées, le geste élégant et sûr, voilà une étoile qui va scintiller sur l’horizon des prochaines années lyriques, et notamment à Munich où elle sera bientôt Tosca et Lady Macbeth. Quant à la déchirante et déchirée Azucena , une autre Russe, Irina Mishura, habituée des grands rôles noirs, incarne de façon troublante cette terrible gitane, avec peut-être un peu trop de charme pour un aussi un aussi sombre personnage. Mais qui s’en plaindrait ? Sûrement pas le public genevois, électrisé par ces deux fortes présences féminines.

Pour les deux protagonistes masculins, on préférera la diction parfaite, le phrasé souple de George Petean en Comte de Luna, si musical qu’on en vient à trouver moins repoussant ce sinistre vengeur, à la vaillance un peu « trompettante » de Zoran Todorovich, dont la prestance rend cependant plausible le rôle désordonné de Manrico, ballotté entre ses extrêmes amoureux. Il est vrai, et c’est là l’une des clefs de la passion qui enflamme chaque seconde de ce Trouvère, qu’il est guidé par la battue d’Evelino Pido. Une fois encore, ce chef qui possède encore les secrets presque perdus du bel canto, fait amoureusement vibrer cette musique, avec une irrésistible énergie.

Jacqueline Thuilleux

Grand Théâtre de Genève, le 8 juin, prochaines représentations les 18, 21 et 23 juin 2009


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Photo : GTG/Vanappelghem

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