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Compte-rendu : Le grand écart - Philippe Jordan entre Beethoven et Bartok


Entre deux représentations de La Walkyrie à la Bastille, Philippe Jordan a confirmé son talent et son éclectisme en réalisant dans la même soirée un grand écart, qui nous a conduit des berges de Beethoven aux rives de Bartok. Classicisme des courbes, largesse des tempi, fluidité des lignes mélodiques adroitement enchâssées, grande déclinaison des nuances, sa lecture du second concerto s'est avérée remarquable. Très à l'aise dans ce répertoire, le jeune chef a su mettre en relief la savante écriture beethovenienne, transcrite avec sensibilité par les pupitres du Philharmonique de Radio France, tout en célébrant l'indispensable dialogue avec l'instrument soliste. Tout en force tranquille, François-Frédéric Guy s'adapte parfaitement à cette conception. Son jeu racé, son ample phrasé, ses cadences virtuoses ont concouru à rendre ce moment inoubliable, les deux musiciens maniant avec habileté l'art de la suspension, de la retenue et plus encore, celui de la respiration.

Changement radical d'époque et d'esthétique avec Le Château de Barbe-Bleue de Bartok. Calme et concentré, Jordan a brillamment exécuté cette oeuvre complexe, grâce à la rectitude de sa pensée, à sa maîtrise des flux orchestraux et à sa finesse de coloriste. Exploitant la tension inhérente à cette partition pour mieux en libérer la violence (lors de l'ouverture des trois dernières portes), Jordan a très intelligemment su exposer les conflits de ce couple, traduire l'enchantement et la terreur dans un même geste, inspiré et d'une totale rigueur. Portés par cet orchestre rutilant, les deux protagonistes, Petra Lang d'abord, Judith pleinement incarnée confondante d'aisance, et la basse Peter Fried, somptueux de timbre et de stature vocale, ont remporté un triomphe, salué par une salle conquise.

François Lesueur

Paris, Salle Pleyel, 4 juin 2010


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Photo : DR

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