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Compte-rendu - L’Affaire Makroupoulos à l’Opéra Bastille - Dans la main de Dieu


La transposition est évidente : il y a dans la pièce de Karel Capek la nervosité d’une écriture cinématographique, et son livret est d’abord un polar : enquête sur une sombre histoire d’héritage qui laisse apparaître une personnalité fascinante, mystérieuse, inexpliquée. Film noir donc, film aussi sur la fin d’une vie dorée et sinistre pourtant. Oui le parallèle avec « Sunset Boulevard » ou le destin de Marilyne n’est pas vain. Il nous change surtout des habituelles loges de théâtre misérabilistes ou des lectures au ras des pâquerettes qui transforment invariablement Emilia Marty en monstre et banalisent son environnement.

La touche de glamour qu’apporte Warlikowski est fragile, le vertige de la mort omniprésent, comme le souligne l’impossible scène d’amour entre Emilia et Bertik dans les lavatories, petite morgue où l’actrice est saisie par la petite mort du sommeil. L’apparition de King Kong reste toujours aussi vertigineuse, Emilia pâmée dans sa paume, repue de ce qui seul lui donne encore du plaisir, la scène. Warlikowski sait produire de pures images oniriques et les habiller de sens.

On passe sur une direction d’acteur transcendante, encore plus fluide, plus étourdissante que durant les premières séries de représentations, pour pointer l’incarnation plus contrastée qu’offre Angela Denoke : il semble qu’elle se soit désormais totalement approprié le rôle ; il faut voir sa gitana dans la scène avec Hauk-Sendorf, subtilement campé par Ryland Davies. Et le grand tableau final de l’acceptation, avec son texte comme émané du Léthé, émeut toujours autant.

Distribution en or, dominée par le Jaroslav Prus de Vincent le Texier, sexuel puis brisé, et par le Bertik (Albert Gregor) de Charles Workman qui triomphe du haut ténor exigé par Janacek. La Krista de Karine Deshayes – qui joue très bien sa métamorphose à la « All about Eve » – le Janek d’Ales Bricsein qui derrière son accoutrement caricatural laisse entrevoir un vrai personnage, le Vitek de David Kuebler, le Koletany de Wayne Tigges, tous forment mieux qu’une distribution, une véritable équipe de théâtre, emmenée aux frontières du surnaturel par la battue incisive, véhémente de Thomas Hanus, grand maître de l’œuvre sur les scènes internationales – notez qu’il dirigera par ailleurs Jenufa à l’Opéra de Munich la saison prochaine.

Il ne reste que cinq représentations. Si vous ne l’avez pas déjà vue, ne laissez pas passer cette production que l’on ne retrouvera probablement pas de sitôt, et si vous l’aviez vue vous voudrez naturellement y retourner.

Jean-Charles Hoffelé

Leos Janacek : l’Affaire Makropoulos - Opéra Bastille, le 4 mai, représentations suivantes les 7, 10, 12, 15 et 18 mai 2009.

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Photo : Eric Mahoudeau /Opéra de Paris

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