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Compte-rendu : La route est longue - Siddharta d’Angelin Preljocaj et Bruno Mantovani

Evénement chorégraphique de l’année assurément, que cette création demandée à Angelin Preljocaj, chorégraphe prolifique et surdoué, dont les œuvres figurent en bonne place au répertoire de l’Opéra de Paris, notamment Le Parc et Ceci est mon corps, exceptionnels par leur acuité et leur force de frappe. Brigitte Lefèvre en rêvait, il l’a fait : ce long, trop long parcours du futur Bouddha, avant son éveil. Légère déception, il faut l’avouer, devant une fresque qui si elle dispense une incontestable beauté plastique, tant Preljocaj sait jouer des corps, ne parvient pas à trouver son rythme. L’émotion y demeure à fleur de peau, sans qu’on pénètre véritablement dans la quête de Siddharta.

Depuis longtemps, l’idée maîtresse du ballet tenait terriblement à cœur à Preljocaj, car la prise de conscience du corps jusqu’au tréfonds de l’âme de l’Eveillé, lui paraissait induire de questions sur le geste. Plus qu’une quête mystique telle qu’on la conçoit en Occident, son ballet pouvait laisser le corps montrer des voies, sinon des réponses.

Or nous assistons simplement à une succession de tableaux aux gestes très porteurs d’influences diverses, mais brassés par le mélange subtil de sinusoïdes et d’agressivité propre à Preljocaj. Et sombre est la route, dans ces costumes sévères où le noir prédomine, sauf quand de délicates créatures comme sorties d’un lointain ballet blanc viennent adoucir la violence des drames humains. Plus marquants sont ces moments qui s’intercalent entre les scènes réalistes, baptisés atmosphères mentales dans le livret d’Eric Reinhardt, et où le héros livre progressivement le chaos de ses émotions : il y en a de superbes, notamment dans des pas de deux d’un érotisme violent, marqués par le talent très particulier du chorégraphe pour faire s’affronter les corps, ou lorsque, Siddharta arrivant au terme de sa quête, ses gestes se font nuageux, sans pesanteur, comme si tout contact avec l’apparence de la réalité l’avait quitté, avec de terribles portés aériens : Nicolas le Riche y retrouve ici une puissance expressive qui semblait l’avoir un peu déserté depuis quelque temps, tandis qu’Aurélie Dupont flotte magiquement sous ses voiles, aussi translucide que l’Eveil qu’elle incarne, si l’on ose dire.

Le spectacle, il faut y insister, devait, comme à l’époque des Ballets Russes, sceller l’union d’un trio de créateurs; celle du chorégraphe avec Bruno Mantovani pour la musique et de Claude Lévêque pour la scénographie. Ce dernier a signé là quelques visions d’une grande force onirique, notamment une maison suspendue sortie d’un film de Mizazaki, un dessous de camion assez stupéfiant, et un pendule nettement plus beau que celui de l’Or du Rhin récemment, visions d’ailleurs assez peu provocantes. En revanche la partition de Mantovani ne marque guère de progression dramatique, pour séduisante qu’elle soit, et les vagues montantes vers de violents crescendos qui la parcourent ne structurent guère un magma musical finalement assez uniforme, dans lequel les gestes ont du mal à se dégager. Le sommeil, il faut l’avouer, a souvent gagné un public, pourtant parti pour l’Eveil. « Que peut dire le corps ? » interrogeait Spinoza, dont Preljocaj est un lecteur assidu. La question reste posée.

Jacqueline Thuilleux

Siddharta : ballet d’Angelin Preljocaj (musique de Bruno Mantovani/ livret d’Eric Reinhardt) - Paris, Opéra Bastille, le 18 mars, prochaines représentations les 23, 29, 31 mars et les 1, 2, 4, 6, 7 et 11 avril 2010

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Photo : DR
 

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