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Compte-rendu : La Belle Hélène à l’Opéra du Rhin - Offenbach à Hollywood

Du chic, du chien, du choc dans ce spectacle si craquant qu’on en redemande encore et encore. Et du goût, aussi, ce qui ne nuit pas, même si l’on ne peut affirmer que les représentations d’origine en furent pétries ! Mariame Clément, qui remet en selle ici son travail de décembre 2006, couronné par un franc succès, est douée, assurément : elle transporte dans sa besace de metteuse en scène plus de bon sens et d’esprit que d’ego surdimensionné, contrairement à nombre de ses confrères, lesquels, faute de savoir créer à part entière, s’emparent frauduleusement de l’œuvre à traiter. Clément, elle, transmet, retouche aux bonnes mesures du temps et des comédiens-chanteurs, fait tenir l’habit dépareillé, donne l’élan qui fait tourner le plateau juste comme il faut.

Voilà donc une version que l’on dirait reposante, tant elle s’emploie à nous réjouir sans frôler l’indigeste : le paquet livré par Offenbach est bien assez corsé ! On rit presque tout le temps, et lorsqu’on se calme, c’est la faute à Offenbach … lequel n’a pas toujours su garder le rythme ! Musicalement, le spectacle rassemble plusieurs versions sur lesquelles les musicologues se sont penchés, ralliant ça et là un air de Paris oublié, et autres finesses goûteuses. Scéniquement, il joue sur deux tableaux : une équipe tourne un peplum, avec des moyens de fortune, et un double monde d’illusion se crée ainsi. Finement observé, ce report dans le monde du cinéma d’avant-guerre, bouffi de stars, d’artistes ratés et d’expédients, est proprement hilarant. Hélène y parade passant d’une robe à l’antique aux déshabillés lamés des divas des années folles, les Garbo, Harlow ou Dietrich prenant le relais des Hortense Schneider et autres divas du faubourg. L’œuvre, au lieu d’apparaître comme une pochade satirique, un peu grasse, sur les maris cocus, s’enrichit de ce strass hollywoodien, qui lui donne des habits neufs.

Il y a là des trouvailles désopilantes, ainsi le médaillon de la célèbre Metro Goldwyn Mayer, dans lequel, couronnant la Ménélas production, vient aboyer un ridicule petit toutou, au lieu du mythique lion, ou l’arrivée en avion de Howard Hughes : ceci grâce à une très astucieuse vidéo, laquelle imbrique aussi les visages du jour dans des scènes de films célèbres. Maniée par le duo Momme Hinrichs et Torge Moller, elle est un atout piquant, qui donne à la fois brio et charme, car le décor des thermes de Nauplie, par exemple, est bien plus séduisant que ce que l’on voit habituellement.

Kitsch élégant, voilà ce qu’a réussi Marianne Clément. Actuellement, quand on ne peut alourdir intellectuellement une œuvre lyrique, on la tire vers la graille. Ici, la chef a juste mis le bon sel, le bon poivre et la pointe de piment pour permettre de déguster cette Belle Hélène haute en goût.

Reste que l’œuvre, même agrémentée de dialogues neufs qui la mettent au vif du temps, n’est pas égale, et qu’après un triomphant démarrage dont le défilé des rois est le clou, elle s’enlise parfois, avant de se renvoler, vers la Crète ou Cythère. On prend alors conscience que l’intelligence de la mise en scène ne suffit pas, et qu’il faudrait des voix un peu plus riches que celles rassemblées ici : certes Stephanie d’Oustrac, avec sa silhouette de top model et son abattage, en met plein la vue. Mais sans parvenir à une véritable séduction, sans doute à cause d’une voix un peu grinçante et d’un curieux manque de glamour, malgré ses attraits. De même pour Sébastien Droy en Paris, joli garçon, mais un peu vert encore ! On regrette aussi que le talent de Steven Cole se soit effiloché au fil du temps, tandis que Franck Leguérinel, en Calchas, est lui, absolument parfait. Tout comme Claude Schnitzler, lequel sait tout faire, et notamment ici, donner avec les musiciens de l’Orchestre de Mulhouse, le ton du bastringue à une œuvre qu’on a trop souvent traitée avec les hommages dus à du grand opéra. Voilà un mammouth bien dégraissé.

Jacqueline Thuilleux

Offenbach : La Belle Hélène - Opéra de Strasbourg, le 21 décembre, représentations jusqu’au 30 décembre 2010, puis à Mulhouse (La Sinne), les 9, 11 et 13 janvier, et à Colmar (Théâtre municipal), les 21 et 23 janvier 2011.

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Photo : Dr
 

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