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Compte-rendu : Inventions et historiettes - Deux créations par TM+ à Nanterre

Avec deux créations au programme, l’ensemble TM+ marque encore une fois l’actualité de la création musicale. Partageant un effectif similaire (celui du Pierrot lunaire de Schoenberg, augmenté de percussions et d’un soliste instrumental dans un cas, vocal dans l’autre), les deux œuvres en question sont cependant d’une forme et d’un propos bien différents.

Jean-Marc Singier (né en 1954) est connu pour son écriture directe, inlassablement inventive, souvent dévolue à des formations instrumentales réduites. S’il a renoncé cette fois aux habituelles allitérations et homophonies plus ou moins approximatives qui font le titre de ses pièces – cette dernière venue est intitulée on ne peut plus sobrement Septuor –, Jean-Marc Singier signe à nouveau ici une page rythmiquement magistrale et magnifiquement claire. Parfait dans son rôle de soliste, le trompettiste André Feydy porte l’œuvre mais sans s’en accaparer le déroulement. Tour à tour, les instrumentistes de l’ensemble s’associent pour porter sur le discours continu du soliste un éclairage constamment renouvelé, tandis que la percussion prend en charge l’aspect plus narratif de l’œuvre. Le temps fort de ce bref concertino – il dure à peine plus d’une dizaine de minutes – est une péroraison centrale du soliste accompagné par le piano, à mi-chemin entre le perpetuum mobile et les « appels interstellaires » de Messiaen.

À l’opposé de la concision de l’œuvre de Jean-Marc Singier, celle de Philippe Bodin développe, sur plus d’une demi-heure, la vie et les pensées d’un savon, du berceau – l’emballage de papier déchiré – à la tombe – le siphon qui l’avale immanquablement. Le compositeur a écrit le texte de ce Soap Opera en seize scènes burlesques qu’il a mises en musique pour le contre-ténor Robert Expert. Le propos est certes un peu systématique, la forme du journal intime induisant pour chaque scène une narration des événements conclue par un commentaire distancé, presque en Sprechgesang. De même, la musique ne se renouvelle-t-elle pas toujours d’une scène à l’autre (le mouvement des cordes accelerando devient comme le leitmotiv un peu simpliste du vortex fatal). Mais il est difficile de ne pas se laisser emporter par l’humour de l’œuvre qui tient autant au talent vocal et scénique de Robert Expert qu’aux trouvailles du compositeur, souvent à la frontière du pastiche, telle cette rencontre avec un vieux savon à l’atmosphère digne de Pelléas et Mélisande.

À la tête d’un effectif instrumental réduit, Laurent Cuniot montre dans l’une et l’autre œuvre un indéfectible sens de la couleur, une grande précision en même temps que de la légèreté dans la battue. Son talent s’exprime aussi dans la composition même du programme. En effet, comme son habitude, TM+ proposait en regard des créations une poignée d’œuvres que l’on peut cependant difficilement dire « du répertoire ». C’est ainsi Jean-Marc Ayroles qui proposait deux œuvres de Stravinsky et trois de Satie. Parfait dans l’énergie fulgurante de Piano Rag Music de Stravinsky comme dans la contemplation arythmique de la Gymnopédie n°1 de Satie, le pianiste de l’ensemble a également interprété avec classe la rare Sonate faussement néoclassique de Stravinsky, ce qui est déjà un événement en soi.

Jean-Guillaume Lebrun

Nanterre, Maison de la Musique, jeudi 20 mai 2010

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Photo : DR
 

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