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Compte-rendu : Flamboyante révélation ! Jorge Luis Prats en récital


Souffrant, Nelson Freire a renoncé à donner le récital programmé par Piano****. Appelé à la rescousse pour le remplacer, le pianiste cubain Jorge Luis Prats doit son absence de notoriété dans notre pays à des raisons politiques qui l’ont pendant longtemps confiné dans son île. Son cursus aurait dû lui ouvrir les portes de la carrière puisqu’après des études au Conservatoire de Moscou, il remportait à Paris en 1977, à l’âge de 21 ans, le Premier Prix du Concours Long-Thibaud. Installé désormais à Miami, il peut enfin exprimer pleinement son talent sans entraves.

Dès les Bachianas brasileiras n°4 de Villa-Lobos s’installe un climat tout en subtilité, en ferveur, en foisonnement gourmand de sonorités, malgré une certaine réserve due à l’enjeu. L’interprète se libère progressivement dans les orchestrales Etudes symphoniques de Schumann (auxquelles il ajoute les Etudes posthumes). Son engagement constant explique de légères scories vite balayées par un jeu tour à tour puissant et fin faisant corps avec le piano dans une dernière Etude au caractère tellurique.
Dominée par la musique espagnole et sud-américaine, la seconde partie laisse l’interprète parler dans son arbre généalogique. Dans les trois extraits d’Iberia d’Albéniz (Fête-Dieu à Séville, Málaga, Jerez), le refus de tomber dans le piège de l’hispanisme à tout crin privilégie un travail sur la pâte sonore (le grave du piano, cuivré, rappelle parfois Arrau) avec une élasticité sans aspérité ni agressivité.

Le tango débridé intitulé Alta Gracia (1985) de son compatriote Carlos Farinas est un arc-en-ciel de rythmes déhanchés avant une Valse de Ravel menée à un train d’enfer et conduite avec une virtuosité hallucinante.

Acclamé, Jorge Luis Prats libère son tempérament dans les bis des compositeurs cubains Ignacio Cervantès (Six Danses cubaines) et Ernesto Lecuona (Mazurka en glissando, tout en clins d’œil), puis dans la transcription de Liszt (revue et corrigée par Prats !) de La Mort d’Isolde de Wagner, renouant avec l’esprit libre et imaginatif des pianistes du début du siècle dernier.

Plus qu’une découverte, une révélation, celle d’un artiste créatif qui sait raconter et inviter au voyage. Le 24 septembre prochain, Jorge Luis Prats jouera à Toulouse dans le cadre du 31e Festival Piano aux Jacobins (1) et, le 1er février 2011, il sera à nouveau Salle Pleyel dans la série Piano****. Une aubaine pour tous les amateurs de piano !

Michel Le Naour

Paris, Salle Pleyel, 4 mai 2010

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Photo : DR

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