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Compte-rendu : Cycle Mahler/Gergiev à Pleyel / I - Une « Symphonie des Mille » intime et sensuelle

C’est le privilège des plus grands de prendre toujours le public à contre-pied. N’en a-t-on pas entendu de ces Symphonie des Mille à grand spectacle et en technicolor ! C’est oublier la tonalité particulièrement sensuelle de mi bémol majeur, si chère à Mozart ce grand amoureux de la vie, choisie par Gustav Mahler pour sa 8e Symphonie. Le tsar du Mariinsky de Saint Pétersbourg, Valery Gergiev, s’en est souvenu fort à propos, et alors qu’on l’attendait dans le cataclysme sonore le plus débridé, il a délivré en ouverture de la saison parisienne et de son intégrale Mahler salle Pleyel une interprétation à la fois transparente et ondoyante, passionnée et empreinte de joie.

Comme son compatriote le pianiste Sviatoslav Richter, poète sensible taillé en bûcheron, le chef ossète cache sous sa carrure une sensibilité frémissante qu’il extériorise d’autant mieux ici qu’il n’est jamais aussi à l’aise qu’à la tête de ses troupes du Mariinsky, qui obéissent à ses longs doigts puisqu’il dirige sans le truchement de la baguette. Certains auront pu souhaiter une entrée plus digne de Michel-Ange pour le Veni Creator introductif. Mais il faut bien appareiller le grimoire de ce moine du XIe siècle dont s’inspire d’abord Mahler avec le modernisme prophétique du Second Faust de Goethe qui fournit le texte de la seconde partie de ce gigantesque oratorio à la gloire de la matière et du vivant… ce que dit expressément le mi bémol majeur !

Tant de nuances aux limites parfois de l’intimisme, ne sont possibles que grâce à un orchestre, à des choeurs et à des solistes tous issus du même moule et dévoués au patron qui sait les mener sur les sommets. Si l’on reconnaît parfois une touche de couleur typiquement russe dans les voix, les airs de soprano, notamment ceux interprétés par la somptueuse Anastasia Kalagina, et de ténor par le magnifique Sergei Semishkur font décoller la salle. Le baryton Vladimir Moroz et la basse Vadim Kravets n’ont rien à leur envier, pas plus que les choristes entraînés par Andreï Petrenko. Chapeau bas aussi devant les jeunes Britanniques de la maîtrise d’Eltham College près de Londres, dont les interventions sont toujours musicales et d’une justesse irréprochable.

En ouverture de son cycle Mahler, Gergiev a d’emblée placé la barre très haut. Nul doute qu’il ne poursuive dans la même voie les 11, 12 et 13 décembre avec ses camarades de Saint Pétersbourg dans les Symphonies n°2, 1 et 5, 4 et 6, avant de conclure avec le London Symphony Orchestra, les 26 mars (Symphonie n°7), 27 mars (Symphonie n°3) et 28 mars (Symphonies n°9 et 10).

Jacques Doucelin

Paris, salle Pleyel, le 8 septembre 2010

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