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Compte-rendu : Comme un souffle - Hommage à Jérôme Robbins à l’Opéra de Paris

Qu’il est bon d’entendre le public de l’Opéra - surtout un samedi soir, donc un vrai public - s’esclaffer de bon cœur devant les facéties de The Concert, de Robbins. D’autant que les danseurs semblent s’y amuser véritablement, notamment Dorothée Gilbert, éblouissante en ballerine déjantée. Les esprits chagrins ont vite fait de dire ce ballet un peu usé avec ses gags bon enfant, en fait il n’a pas pris une ride et surprend totalement des spectateurs qui n’imaginent guère aller à l’opéra pour s’amuser. Car qui a su faire rire en chaussons avec cette finesse, hormis le Kylian de Symphonie in D et le Neumeier du Songe d’une Nuit d’été ? Voilà une fin heureuse pour ce programme d’hommage au maître qui a tant marqué et fait souffrir les danseurs de l’Opéra, avec des pièces aussi essentielles que Dances at a gathering, Other dances et In the Night.

C’est justement ce chef d’œuvre qui est ici repris, et l’on en a toujours une certaine angoisse, car les interprètes de la création parisienne, en 1989, furent de ceux qui s’approprient une œuvre de façon irréversible. Et pourtant, sur ces Nocturnes de Chopin joués à la dure par la pianiste Ryoko Hisayama, le rêve passe toujours. Cette chorégraphie bijou qui cisèle les émois de trois couples aux différents âges de l’amour - peut-être le même couple en fait - oblige les danseurs d’aujourd’hui à se transcender : d’Aurélie Dupont et de Manuel Legris - celui-ci en invité exceptionnel - partenaires de toujours, on en est guère surpris. Ils sont explosifs et délicats, tout à la fois.

Mais que dire d’Emilie Cozette, étoile discrète, sinon qu’elle révèle ici une intériorité prenante, et de Ludmilla Pagliero, récemment promue première danseuse, qui déploie ici des bras fluides comme il en est peu à l’Opéra. Leurs partenaires masculins sont aussi élégants et attentifs, du solide Karl Paquette, à Jérémie Bélingard, qui plie sa nature fougueuse au lyrisme délicat du chorégraphe. Car tout est chic et intensément musical chez Robbins, comme d’ailleurs chez son contemporain, complice et rival Balanchine, mais à l’inverse de celui-ci, tout est émotion, distillée dans une chorégraphie d’un pointillisme féroce, mais où tout semble couler souplement. Affaire de perfectionnisme !

Pour la première partie du programme, laissons de côté En Sol, sur Ravel, qui a bien vieilli, même s’il ne date que de 75, et même si Aurélie Dupont et Nicolas Le Riche font de leur mieux pour lui garder sa feinte nonchalance. Enfin, le dauphin, Benjamin Millepied, avec Triade, qui revendique la filiation à Robbins, avec lequel il travailla dès ses seize ans. La aussi le chorégraphe montre des chassés-croisés amoureux et sexy, avec une virtuosité qui ne cherche pas à se cacher, contrairement à Robbins. Il tient aussi de Forsythe pour la vitalité exacerbée, mais sans les risques. Moderne, habile, séduisant à tout coup. On comprend que les américains se soient entichés de lui.

Jacqueline Thuilleux

Hommage à Jérôme Robbins - Paris, Palais Garnier, 24 avril 2010, jusqu’au 8 mai 2010.

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Photo : DR
 

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