Journal

Compte-rendu : 1er Festival « L’Esprit du Piano » de Bordeaux - L’esprit et le cœur


Nouveau venu parmi les festivals de piano français, « L’Esprit du Piano » a d’emblée placé la barre très haut. Initiée par Paul-Arnaud Péjouan (par ailleurs co-fondateur de Piano aux Jacobins et de Piano en Valois-Angoulême), en partenariat avec le Grand Théâtre de Bordeaux et avec l’appui de la Fondation BNP Paribas, la manifestation s’est donnée pour règle de bâtir chaque édition autour d’un pianiste tutélaire et de l’inviter à choisir un ou deux collègues pour partager l’affiche à ses côtés. Outre Alexander Paley, le jazzman Tigran Hamasyan et de David Kadouch, c’est au vétéran Aldo Ciccolini que le festival a ainsi fait appel pour sa première édition. Il était temps, peut-on dire, car voilà plus… d’un demi-siècle que Bordeaux n’avait pas reçu cet interprète ! Un Grand Théâtre plein à craquer, la remise de la médaille de la ville à l’artiste des mains d’Alain Juppé juste avant le début du récital soulignent la portée de l’événement… Mais, comme toujours avec Ciccolini, c’est d’abord la musique qui sort gagnante.

Tout a été dit déjà de l’incroyable santé pianistique que le maître conserve à quatre-vingt-cinq ans révolus. Il n’est que le voir s’emparer avec gourmandise de la Tarentelle de Chopin pour s’en convaincre ! La musique de ce dernier occupe la première partie d’un récital où figurent par ailleurs les Nocturnes op 62, les Mazurkas op 59 et la Polonaise-Fantaisie. Lisztien fervent, Ciccolini aura mis du temps avant d’inscrire régulièrement l’auteur des Valses au programme de ses récitals, mais avec quelle fabuleuse science du clavier lui fait-il désormais régulièrement honneur. Décantée et d’une clarté qui ne s’oppose en rien à la poésie, sa conception souligne la modernité de l’écriture avec une palette sonore infinie. Ciccolini émerveille les harmonies du compositeur polonais…

En seconde partie, Liszt n’est pas en reste. Lyrisme et myriade de couleurs dans la paraphrase d’Aïda, souffle exempt de toute emphase dans la Mort d’Isolde n’envoûtent pas moins que les deux extraits des Harmonies poétiques et religieuses (Invocation et Hymne de l’enfant à son réveil – peut-être le cycle lisztien le plus cher au cœur de Ciccolini – que le pianiste aborde avec toujours autant de fraîcheur.

En bis, Scarlatti, Granados, Elgar et Debussy viennent remercier un public aussi enthousiaste que conscient du moment privilégié qu’il vient de vivre. Geste de la main et sourire teinté comme toujours d’un peu de mélancolie : le maître prend congé, mais ne quitte pas Bordeaux car il a tenu être présent, le lendemain et surlendemain, aux récitals des deux disciples qu’il a invités : Gabriele Carcano et Mark Bebbington.

A vingt-quatre ans, l’Italien affirme un art déjà très abouti. Beethoven est à l’évidence l’une de ses terres d’élection : il pas donné à tous de parvenir à autant de relief et de vie dans une sonate assez mal aimée telle que la n°11 op 22. Entre tension et lyrisme, Carcano trouve le juste chemin avec un impeccable sens de la construction que l’on n’apprécie pas moins dans une « Pathétique » dont l’ardeur jamais précipitée des mouvements vifs et la simplicité de l’Adagio révèlent un styliste de premier ordre et une superbe technique, jamais imbue d’elle-même. Rien de tel pour accomplir des prodiges dans deux Schubert/Liszt touchés par la grâce et un Gaspard de la Nuit qui rejette tout effet de manche au profit d’une étrange et poétique approche, comme sortie d’un songe…

Trentenaire, Mark Bebbington est bien rare sur les scènes françaises mais les discophiles passionnés de musique anglaise connaissent son travail en ce domaine. Rien d’étonnant donc à ce qu’il ouvre son récital avec les savoureuses London Pieces de John Ireland, défendues avec chic. Bebbington ne se cantonne toutefois en rien à rien à un seul répertoire comme le prouve la clarté passionnée et l’autorité avec lesquelles il conduit la vaste 3ème Sonate de Chopin. Une palette sonore aussi nuancée que la sienne ne peut que faire merveille dans la musique française. D’une parfaite justesse de caractère, étrangers aux brumes pseudo impressionnistes, les trois préludes de Debussy (La cathédrale engloutie, « Général Lavine »- eccentric, Feux d’artifice) ont un goût de trop peu, tout comme l’Hommage à Edith Piaf et Napoli de Poulenc où l’élégance, la tendresse et l’humour de l’artiste font mouche.

Alain Cochard

Bordeaux, Grand Théâtre, église Notre-Dame, 8-10 octobre 2010

> Vous souhaitez répondre à l’auteur de cet article ?

> Lire les autres articles d'Alain Cochard

Partager par emailImprimer

Derniers articles