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Chérubin de Massenet à l’Opéra de Montpellier – Un spectacle vif-argent – Compte-rendu

En proposant en ouverture de sa première saison le rare Chérubin de Jules Massenet, la directrice de l’Opéra de Montpellier, Valérie Chevalier, n’a pas choisi la facilité. Partition de la dernière période du compositeur, cette œuvre légère et ambigüe, cette « comédie chantée » douce-amère, peu représentée depuis sa création à Monte-Carlo en 1905, méritait incontestablement une résurrection.
 
Le livret assez embrouillé de Francis de Croisset et Henri Cain situe l’action à la Belle Epoque, loin de l’esprit de Beaumarchais ou de Da Ponte. Juliette Deschamps préfère s’écarter de l’atmosphère du tournant du siècle pour installer les ébats amoureux du jeune Chérubin – un Don Juan en puissance - dans une Californie des années 50 où l’on trompe son ennui entre paillettes et villas de luxe.

Les nombreux personnages jouent le jeu du théâtre sans prétention dans le seul souci de faire plaisir, autour d’un triangle amoureux (l’érotomane Chérubin en rôle travesti, la danseuse espagnole L’Ensoleillad, et Nina, jeune fille pleine de tendresse et d’abnégation pour le héros volage). Très connoté, le décor de Macha Makeïeff s’inspire des univers des tableaux d’Edward Hopper (les cadrages) ou de David Hockney (présence de la piscine) avec des références chargées au cinéma (Pasolini, Sternberg…) ; le tout accompagné d’extraits de films muets. Les costumes de Vanessa Sannino offrent une panoplie très bigarrée mêlant différents styles, entretenant la confusion des sexes et la transgression (du tutu du Philosophe au costume d’homme et chaussures à talons aiguilles de Chérubin). Quatre danseurs compensent l’absence de ballet sans que leur omniprésence se justifie, au risque même de détourner le public du sens de l’action.
 

© Marc Ginot
 
Belle homogénéité du trio féminin : en Chérubin, Marie-Adeline Henry, silhouette de Marlène Dietrich, a de l’abattage et une puissance de chant qui lui permet de franchir allègrement les écarts de tessiture ; une démonstration qui ne recherche pas le raffinement mais se révèle très efficace. Par comparaison, la Nina de Norma Nahoun, fraîche, teintée d’une touche de mélancolie, sait émouvoir et camper un personnage qui dégage spontanément la sympathie (air « Ne pleure pas » à l’acte III). En Ensoleillad – danseuse espagnole qui se comporte en star et déclenche une passion violente du héros – la soprano turque Çiğdem Soyarslan imprime une tonalité exotique avec une assurance et une aisance remarquables (air « Vive amour qui rêve »).
Côté masculin, la basse profonde Igor Gnidii interprète Le Philosophe (le mentor de Chérubin) impressionnant et troublant par son caractère androgyne, malgré une diction parfois imprécise. On citera dans les rôles secondaires les apparitions remarquées de Michèle Lagrange en Comtesse (malgré un timbre quelque peu fatigué), d’Hélène Delalande en Baronne et, chez des hommes, le Comte de Philippe Estèphe, le Duc de François Piolino, le Baron de Julien Véronèse, trois jaloux en quête de vengeance sortis d’une bande dessinée. Une mention particulière pour Jean-Vincent Blot qui campe un Aubergiste très incarné ou à Denzil Delaere en Capitaine Ricardo.

Spécialiste de la musique française, le Canadien Jean-Marie Zeitouni a du dynamisme à revendre - dès la pétillante ouverture - et conduit un Orchestre national Montpellier Languedoc-Roussillon en belle forme avec toute la précision requise, sachant le cas échéant ménager des plages de fine poésie. On pourrait s’attendre à plus de sensualité, mais la souplesse de la ligne mélodique, la fluidité du propos et la richesse de la palette sonore (les entractes espagnols) emportent l’adhésion. Les chœurs sont à l’unisson, préparés avec soin par Noëlle Gény. Un bel hommage rendu à une partition méconnue, gorgée de vitalité et d’inventivité.
 
Michel Le Naour

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Massenet : Chérubin - Montpellier, Opéra Comédie, 9 octobre, prochaines représentations les 13, 16 et 18 octobre 2015 / www.concertclassic.com/concert/cherubin-de-massenet

Photo © Marc Ginot

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