Journal

​Cendrillon de Rossini (version française) à l’Opéra Royal de Versailles – Parade sans relâche – Compte rendu

C’est avec une sorte de surréalisme bon-enfant que Julien Lubek et Cécile Roussat avaient choisi, en 2014, de mettre en scène la Cenerentola de Rossini à Liège, production que l’Opéra Royal de Wallonie avait reprise en 2019, avec Karine Deshayes dans le rôle-titre. En 2025, le spectacle arrive en France, mais il s’est un peu transformé en chemin, puisque l’Opéra de Versailles, fidèle à une politique entreprise avec Mozart – La Flûte enchantée en 2020, L’Enlèvement au sérail en 2024 – a décidé de faire entendre ces œuvres en français, comme cela ne se faisait plus depuis plus d’un demi-siècle.

 

© Baptiste Lacaze

Sur un livret de Crevel de Charlemagne

Même s’il n’est pas certain que le texte, en dehors des récitatifs, y gagne beaucoup en intelligibilité, cela a du moins le grand mérite d’embaucher des artistes francophones, auxquels le monde lyrique préférerait des Allemands ou des Italiens si ces opéras étaient donnés en version originale. En l’occurrence, le livret français établi en 1868 par un certain Louis-Ernest Crevel, dit Crevel de Charlemagne (1807-1882) fonctionne plutôt bien, ses vers respectant le plus souvent l’esprit et la lettre de l’original. Il témoigne en tout cas d’un métier qu’on ne retrouve pas tout à fait dans les récitatifs rétablis pour l’occasion (la version Crevel ne conservait que les airs) et traduits par Gaétan Jarry.

 

© Baptiste Lacaze

 
Verdeur et sens du rythme
 
On apprécie davantage le travail du chef à la tête d’un Orchestre de l’Opéra Royal qui, dès les premières mesures de l’ouverture, donne à entendre des sonorités plus vertes, plus savoureuses que l’on en entend d’ordinaire, Rossini étant majoritairement interprété avec des instruments modernes. Les tempos sont rapides, parfois presque trop pour que les chanteurs puissent suivre, mais la représentation est menée avec un sens du rythme que favorise le décor tournant aux multiples lieux imaginés par les responsables du spectacle. S’y promène un âne qui rappelle le cheval imaginé par Picasso pour Parade, des fées-acrobates-aviateurs des années 1920, une montgolfière, des buissons animés et autres éléments de magie qui « re-féerisent » une intrigue que Jacopo Ferretti avait un peu éloignée du conte. Les costumes colorés, avec leurs maquillages chargés, prennent aussi leur distance avec le réalisme. Dommage que l’on n’ait pas pu remplacer ce gros livre que lisent l’héroïne et Alidoro, sur lequel est écrit « La Cenerentola », cet accessoire ayant sans doute été créé une fois pour toutes à Liège.

 

© Baptiste Lacaze

 
De belles prises de rôle

La distribution, on l’a dit, est entièrement francophone, ce qui permet quelques belles prises de rôle. Jean-Gabriel Saint-Martin est assez stupéfiant en Perruchini (Dandini dans l’original), non seulement par sa transformation physique – le chanteur est presque méconnaissable – et par ses œillades et ses sourires hilares, mais par son adéquation à ce répertoire. Alexandre Baldo impose son autorité scénique et aborde avec aplomb les embûches dont Rossini a parsemé l’air d’Alidoro, ici Fabio. On regrette que les deux (très) méchantes sœurs n’aient pas plus à chanter, car on sait que les désopilantes Gwendoline Blondeel et Eléonore Pancrazi peuvent bien davantage. On découvre la jeune basse Alexandre Adra, méconnaissable en Don Magnifico, doté de moyens considérables, mais au timbre un peu trop nasal, et qui a tendance à trop ouvrir les e muets et parfois à en ajouter où il n’y en a pas. Patrick Kabongo a déjà été Ramiro, notamment au Mai Musical Florentin, et son expérience rossinienne l’aide à triompher sans peine de son rôle de prince charmant. Quant à Gaëlle Arquez (photo), qui fut Angelina sur la scène du Palais Garnier en 2022, Cendrillon lui va comme un gant, et s’il fallait passer par cette version française pour la réentendre dans ce personnage, le jeu en valait amplement la chandelle.

Laurent Bury
 

Rossini : Cendrillon – Versailles, Opéra Royal, 14 octobre ; prochaines représentations les 16 et 18 octobre 2025 // www.operaroyal-versailles.fr/event/rossini-cendrillon/
 
Photo © Baptiste Lacaze

Partager par emailImprimer

Derniers articles