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Cendrillon de Noureev - Certains l’aiment show - Compte-rendu

Voilà notre Cucendron transformée en starlette dans le monde alors magique du cinéma des années 30 ! Et combien le Palais Garnier lui allait mieux comme décor de rêve pour pauvrette devenue princesse, que la rude Bastille où le spectacle émigre pour la première fois ! Mais avec succès, les salles étant bondées pour ce conte de Noël inscrit dans le traditionnel programme festif de fin d’année. On ne peut en effet résister à l’humour, au chic et à l’inventivité de cette délicieuse transposition dont Noureev, fou de cinéma, eut l’idée et qu’il créa en 1986, avec une distribution phénoménale, de Sylvie Guillem à Monique Loudières et Isabelle Guérin, face au beau Charles Jude, idéal rêve de jeune fille.

Dans la carrière de chorégraphe de Noureev, lourde à plus d’un titre, par l’abondance des grands ballets qu’il revisita et la surcharge gestuelle qui les gâche généralement, comme les redondants Roméo et Juliette et Belle au Bois dormant, à l’exception de son magnifique et poignant Lac des Cygnes, ce Cendrillon est un zeste de fraîcheur : et un sujet neuf pour l’Opéra de Paris, où curieusement il n’avait pas été mis en selle. Alors que tant de scènes étrangères avaient donné du balai de Charles Perrault, de Vienne et Londres à la Russie surtout, avant même que la partition de Prokofiev ne vît le jour à la fin de la guerre. Sa musique, si porteuse de mélodies lyriques, langoureuses ou piquantes, avec même une incise de la Marche des Trois Oranges, donna évidemment des ailes à la féerie, même si elle n’atteint pas à la richesse et à la diversité de son Roméo et Juliette, son autre grand ballet.

Pur délice, donc, que cette descente dans l’univers hollywoodien, ouverte sur un flamboyant départ en voiture de sport, et déroulé sur fond d’immenses silhouettes de pin-up en carton, avec une hilarante apparition de King Kong. Le prince, lui, évoque irrésistiblement Rudolf Valentino, que Noureev incarna à l’écran, et dont il avait la beauté trouble, - ce qui n’est pas le cas quand c’est le clair et blond Karl Paquette qui le danse, par ailleurs fort bien-. Pour une fois, le chorégraphe, libéré de son désir patrimonial de ressusciter les grands ballets de sa jeunesse en leur apportant sa touche personnelle, se laisse aller à plus de légèreté : les pas de deux du couple sont langoureux et poétiques, d’une belle fluidité, les facéties des deux sœurs moins pesantes que celles de la Cenerentola de Rossini, dont on sort (il est vrai que les danseuses ont ici la part plus aisée que les chanteuses), et la magie des décors de Petrika Ionesco et des costumes exquis d’Hanaé Mori, aujourd’hui retirée, enlève l’ensemble. D’autant que la direction alerte mais très attentive de Fayçal Karoui, lequel met ici à profit sa riche expérience de directeur musical du New York City ballet, soutient les danseurs tout en gardant à l’œuvre sa libre poésie.

Lorsque Dorothée Gilbert s’empare du rôle, elle lui donne sa classe, son charme retenu, sa technique élégante sans virtuosité débridée, pour notre plus grand bonheur, et ses pestes de demi-sœurs sont dessinées avec un brio époustouflant par Nolwenn Daniel et Alice Renavand, cette dernière explosant de vitalité depuis sa toute récente nomination de première danseuse. On savait déjà qu’elle était l’élément le plus intéressant de la jeune garde de l’Opéra. Elle le prouve ici d’éclatante façon.

Nombreux seront les danseurs qui se succéderont dans ce réjouissant Cendrillon, auquel font fête les nombreux rats et souris accompagnant leurs parents dans la salle. Un vrai cadeau.

Jacqueline Thuilleux

Prokofiev : Cendrillon (chor. R. Noureev) - Paris, Opéra Bastille, 3 décembre, puis les 6, 7, 9 , 10, 12, 13, 14, 16, 19, 20, 21, 22, 23, 25, 26, 28, 30 et 31 décembre 2011.

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Photo : Laurent Philippe
 

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