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Carte postale d’été gourmand


Les vrais festivals ont heureusement d’autres ressources que les spectacles phares de leurs affiches. Celui d’Aix-en-Provence propose des parcours plus secrets que ses soirées lyriques, qui réservent de merveilleuses surprises aux esprits curieux, ou chanceux… Ayant pu ainsi me glisser à la répétition générale du concert de Pierre Boulez et du Philharmonique de Berlin, je n’ai pas regretté de m’être levé matin. De la Rotonde au Grand Théâtre de Provence, j’ai suivi de nombreux musiciens berlinois en short et chemisette avec leur instrument en guise de sac à dos qui pressaient le pas pour arriver largement en avance à la répétition dont ils semblaient attendre beaucoup.

L’occasion aussi de remarquer combien Sir Simon Rattle a rajeuni la moyenne d’âge et largement internationalisé et féminisé sa phalange. Imaginez qu’un groupe de trois musiciens parlaient notre langue ! Il y a aussi des Anglais et des Américains. Vingt minutes avant le début de la répétition, ces sportifs de l’archet et du piston s’entraînaient pour être au meilleur de leur forme à l’arrivée du chef français. Celui-ci les salue en allemand avant de survoler la première partie du programme sans jamais interrompre l’orchestre qui déroule un tapis sous les doigts de Pierre-Laurent Aimard dans le Concerto pour la main gauche de Ravel sans gommer pour autant la dénonciation de la folie de la guerre qu’y a mise le compositeur.

C’est seulement après la pause, avec la Musique pour cordes, percussion et célesta de Bartok que Boulez chausse ses lunettes de pédagogue : pendant une heure, armé de calme, de persuasion et d’humour, il explique sa conception et expose ce qu’il attend de l’orchestre n’hésitant pas à faire un long aparté avec la chef d’attaque des seconds violons. Dès les premières mesures, profitant d’une faiblesse d’un musicien, Boulez prend le pouvoir en riant, mais sans manifester d’ironie. La réactivité de cette collectivité est stupéfiante et l’échange d’une prodigieuse efficacité. Les musiciens les plus chers du monde trahissent une folle avidité d’apprendre qui est d’ordinaire l’apanage des orchestres de jeunes ! Ce qui est un peu le cas si l’on songe que le maestro vif argent a 84 ans… Après d’innombrables reprises de détail, les Berlinois lui témoigneront chaleureusement leur gratitude. Et sans arrière-pensée, car de vrais musiciens se sont trouvés pour discuter d’égal à égaux…

Dans l’après-midi de ce même dimanche de juillet, au Théâtre du Jeu de Paume, deux autres musiciens devaient gratifier leur public d’instants d’une rare intensité : les époux György (photo) et Marta Kurtag. Entrant en scène en se tenant par la main, ce beau couple octogénaire formé depuis plus de soixante ans s’assied sur le tabouret d’un grand piano droit où ils vont faire de la musique comme à la maison, avec foi et simplicité. Mais quel feu intérieur ! Les pièces de Kurtag alternent avec Bartok et des transcriptions de Jean Sébastien Bach, qui toutes se répondent en un dialogue au sommet. Quand les deux musiciens reviennent pour donner en bis deux Chorals de Bach, dont Aus tiefer Not, le temps est comme suspendu. Qu’elle paraît vaine la querelle des instruments anciens devant l’évidence qui émane de ce couple à la fois si fragile et si fort !

Par-delà Wagner et Mozart, c’est cela aussi le Festival d’Aix en Provence.

Jacques Doucelin

Festival d’Aix-en-Provence, le 5 juillet 2009

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Photo : DR

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