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Carmen selon Olivier Py à l’Opéra de Lyon - Paradis Perdu - Compte-rendu

Au Paradis Perdu Carmen abandonne ses Espagnes, et même ses gitaneries. Olivier Py l’a voulu ainsi, débarrassée de tout pittoresque, rendue à la seule vérité de son personnage, consumée par la passion, et il a eu mille fois raison.

Du coup la poussière accumulée sur cet univers de clichés disparaît, et la première à profiter de ce grand coup de balais c’est d’abord la musique de Bizet, plus vive, plus en lumière, plus fulgurante.

La salle a frémi plus d’une fois qu’on lui change si drastiquement sa Carmen, mais comment ne pas céder lorsque le geste du metteur en scène colle si exactement aux notes ? Car le vrai trésor de cette mise en scène c’est bien que sa syntaxe et son vocabulaire se glissent sans un faux pli dans la musique.

Le spectacle est d’abord un décor, celui virtuose conçu par Pierre-André Weitz, tournant sur lui-même pour faire voir toutes les faces d’un cabaret, scène, coulisses, loges, rue, mais Olivier Py l’habite d’une action étourdissante, dont la matière théâtrale, les apartés dramatiques, le sens d’un certain comique plus ou moins distancié créent un univers foisonnant, ouvert – on y voit même devant le rideau baissé du cabaret une pantomime d’entracte relisant façon érotique le conte du petit chaperon rouge et du grand méchant loup.

On est vite emporté dans ce tourbillon qui vous ballote de surprise en syncope, la tête vous tourne et pourtant jamais on ne quitte les personnages, dont les destinés semblent plus implacables encore. La mort est présente – un cercueil passe dès le premier tableau, il reviendra – mais légère comme une fumée de cigarette.

Comme Lulu, Carmen est pour Olivier Py la plus perverse et la plus innocente des femmes – il la présente en Eve tenant le serpent du Paradis Perdu, mais rapidement une panthère prédatrice sera son totem. Et Don José le plus innocent des amoureux, qui ne pouvait finir qu’en assassin. Escamillo n’est plus cet « épisode » amoureux, mais bien la clef qui explique la liberté sexuelle qui fait tout le scandale de la femme Carmen.

Admirable lecture qui fait grincer les dents mais rend plus intelligent, et n’hésite pas à présenter Carmen pour ce qu’elle est : une partition révolutionnaire dans son artefact, c’est entendu, mais d’abord dans son sujet. L’homme de théâtre se régale ici, soulignant d’un trait léger mais aigu à quel point la suractivité de cette partition fait écho aux déflagrations de la Commune.

On peinait à quitter la salle, emporté dans ce Paradis Perdu où les travelos et les girls peignent l’univers de tout un chacun, fabuleux miroir, et qui pas un instant ne trahissait le propos de Bizet.

Et l’on s’en voudrait de poser quelques bémols : José Maria Lo Monaco et Yonghoon Lee soignent peu leur français, mais ils ont l’âge de leur personnage et emportent le spectacle du côté d’un certain réalisme. Ailleurs rien que des lauriers : pour la direction ardente et stylée de Stefano Montanari qui a bien entendu les leçons de Gardiner, pour l’Escamillo sans esbroufe - et sans point d’orgue, merci ! -, de Giorgio Caoduro, pour la Micaela passionnée, emportée de Nathalie Manfrino qui emplit de sa voix solaire tout le vaisseau de l’Opéra de Lyon, et campe un personnage ardent - tout le contraire de l’oie blanche habituelle -, enfin pour la troupe idéalement distribuée. Et une mention spéciale à Christophe Gay, Dancaire-travelo-assassin, qui éclate littéralement les cadres de son jeu coupant et de sa grande voix de baryton sombre et svelte où les mots claquent comme des balles.

Soirée mémorable, spectacle transcendant, peut-être la régie lyrique la plus aboutie d’Olivier Py que tous les Lyonnais pourront voir retransmise en direct sur écran géant place des Terreaux le samedi 7 juillet.

Jean-Charles Hoffelé

Bizet : Carmen - Lyon, Opéra, le 3 juillet ; prochaines représentations les 7, 9 et 11 juillet 2012. www. opera-lyon.com

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Photo : Stofleth
 

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