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Carmen à l’Opéra Bastille – Veni, vedi, Viotti – Compte-rendu

Créée il a vingt ans et entrée au répertoire de l'Opéra national en 2017, la Carmen de Bizet par Calixto Bieito subit à chacune de ses reprises d'inévitables modifications qu'il serait intéressant de consigner soigneusement. Très ouvertement érotisée, cette formidable production n'a rien perdu de son naturel et de sa modernité, quelques scènes-clés conservant leur densité : le soldat armé en slip et rangers contraint de courir sur cette « place où chacun passe » écrasée de soleil, Carmen soulevant sa jupe et retirant sa culotte avant de chevaucher Don José pour le forcer à rester auprès d'elle plutôt que de le laisser rejoindre la caserne, le soldat venant toréer nu au petit jour, Don José enfin tirant Carmen par la jambe une fois son meurtre commis.

© Emilie Brouchon - Opéra national de Paris

Tous les artistes n'ont malheureusement pas le physique approprié à ce type de mise en scène et si leur prestation vocale n'appelle aucun reproche, on déplore que leur corpulence ne puisse rendre pleinement justice au propos du metteur en scène. Anita Rachvelishvili ne craint pas de montrer ses rondeurs : elle porte la nuisette et les vêtements très près du corps qui lui sont assignés, mais ses formes généreuses ne lui permettent pas de jouer les aguicheuses – comme ce fut le cas de Béatrice Uria-Monzon qui jusque dans ces moments-là savait garder une certaine décence – et la scène « d'amour » avec Don José perd ici de son impact.
Plus regrettable encore, Carmen n'apparaît plus au final dans un faux tailleur Chanel rose, mais sanglée dans une mauvaise robe noire qui ne produit pas le même effet. Bien en chair lui-aussi, Jean-François Borras conserve sagement sa chemise fermée, ne roule pas les mécaniques comme avant lui Nikolai Schukoff ou Alagna, revenant en blouson de cuir et non plus en soldat et n'osant plus tirer sa maîtresse par le pied, comme un animal, image qui brisait le cœur.
Certains n'y verront que détails futiles ou anecdotiques et rétorqueront qu'une mise en scène ne peut être figée et qu'il est normal qu'elle évolue de reprise en reprise. C'est sans doute exact, mais à trop vouloir gommer, adapter, transformer la vision d'un metteur en scène, le risque est de la dénaturer et de perdre ce qui en faisait sa force et sa singularité…

 

Lorenzo Viotti © Brescia-Amisano / Teatro alla Scala

Les débuts à l’Opéra de Paris de Lorenzo Viotti (1) ne seront pas passés inaperçus ; le jeune chef n'a pas choisi la facilité proposant une lecture de l'œuvre très personnelle, partagée entre un profond lyrisme et une retenue quasi chambriste. A-t-on déjà entendu Habanera et Séguedille aussi feutrées, aussi intimement murmurées comme à l'oreille de Don José et non plus clamées haut et fort au monde entier ? Sa façon de ralentir le tempo, de brider un orchestre savamment discipliné, de donner à entendre quantité de menus détails d'une orchestration foisonnante, révèle la délicatesse de Bizet, le raffinement de son écriture tout en traduisant les affinités d'un chef lyrique de tout premier plan.

Anita Rachvelishvili se prête avec intelligence et docilité à ces propositions qui contrastent avec les interprétations plus traditionnelles et offre un très beau portrait vocal de la gitane, tout comme Jean-François Borras, Don José au timbre clair, au chant résistant et à la diction parfaite. Robuste et véritablement incarnée est la Micaela de Nicole Car, une soprano à suivre (que l'on retrouvera prochainement en Donna Elvira dans le Don Giovanni confié à Ivo van Hove), incisif et séducteur l'Escamillo de Roberto Tagliavini. Autour de ce quatuor, solides comprimari (Boris Grappe en Dancaïre, Zuniga de François Lis...) et chœurs colorés.
 
François Lesueur

(1) Lire l’interview : www.concertclassic.com/article/une-interview-de-lorenzo-viotti-chef-dorchestre-en-attendant-carmen

Bizet : Carmen – Paris, Opéra Bastille, 23 avril ; prochaines représentations les 29 avril, 2, 5, 8, 11, 14, 17, 20 et 23 mai 2019 // www.concertclassic.com/concert/carmen-7
 
Photo (Anita Rachvelishvili & Jean-François Borras)  © Emilie Brouchon - Opéra national de Paris

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