Journal
Candide au Théâtre des Champs-Elysées – Voltaire à Broadway – Compte-rendu
Le retour de Candide à Paris après douze ans d’absence, même en version de concert, a fait salle comble au TCE, comme à Marseille trois jours avant. L’opérette composée par Bernstein en même temps que son chef-d’œuvre West side story, maintes fois retouchée jusqu’en 1989 date des ultimes concerts et de l’enregistrement dirigé par le maestro, n’a pourtant jamais connue un succès planétaire équivalent. Le sujet, librement adapté d’un conte philosophique de Voltaire, malgré sa transposition dans l’Amérique insouciante de l’après maccarthisme, n’a il est vrai ni la portée universelle des amours de Roméo et Juliette, ni la flamboyante inspiration musicale de sa consœur. Faute d’une dramaturgie suffisamment resserrée, les pérégrinations de ce Candide s’essoufflent rapidement avant de retrouver une certaine vigueur au second acte, portées par des personnages au profil insuffisamment développés.
La présence d’un narrateur/interprète chargé de ponctuer et de commenter l’intrigue avec humour permet, comme dans un singspiel, de pallier certains manques, mais non sans ralentir les aventures finalement boiteuses de cet anti-héros. Musicalement la partition bénéficie d’une solide orchestration, d’une savante maîtrise des rythmes les plus métissés et d’une appropriation des techniques les plus sophistiquées, marque de fabrique du chef/compositeur, mais l’inspiration n’est pas toujours au rendez-vous et l’impression de réentendre à plusieurs reprises la même musique vient à lasser l’auditeur.
Robert Tuohy © robert-tuohy.com
Robert Tuohy, à la tête d’un Orchestre Philharmonique de Marseille à l’écoute, sait caractériser les atmosphères propres à chaque scène, accompagner les changements de lieux (de Westphalie à Buenos Aires en passant par Paris, Lisbonne et Venise), d’époque ou de situation, tout en soulignant les nombreux aspects satiriques du discours et le regard plein de tendresse posé par le compositeur sur la figure naïve de Candide, dont la grande bonté d’âme finit par triompher.
Avec ses airs de premier de la classe, bien propre sur lui, parfois un brin ahuri, le jeune ténor Jack Swanson (26 ans !) campe un Candide plus vrai que nature. Sa technique de chant sans tache, typiquement américaine, est irréprochable, mais son timbre manque de personnalité, même si l’on décèle dans son interprétation et derrière une certaine application, un soin apporté à l’émotion notamment dans son air de la lamentation « Cunegonde is it true ? » au premier acte.
Sabine Devieilhe s’empare de Cunegonde avec la conscience que nous lui connaissons, mais pourquoi ne parvient-elle pas à se libérer de cette affectation, de cette retenue qui ne siéent guère à son excentrique personnage ? Le grand air « Glitter and be gay » joliment exécuté – malgré des contretemps pas toujours en place et des trilles expédiés – est tellement guindé et privé de fantaisie qu’il perd de sa folie ; le jour où la cantatrice décidera de défaire quelques liens de son corset, elle accèdera enfin à un autre statut.
Alors que nous attendions Anne-Sophie von Otter en Old Lady, c’est finalement Sophie Koch qui a endossé ce rôle marqué au disque par une Christa Ludwig survoltée (aux côtés d’une June Anderson inégalable et d’un Jerry Hadley idéal -Decca) ; les rythmes chaloupés de son tango « I’m easily assimilated » ne lui font pas peur, mais la chanteuse est encore trop jeune pour exprimer avec éclat toutes les frasques d’une vie dissolue.
Jennifer Courcier offre une charmante Paquette, Jean-Gabriel Saint-Martin un impayable Maximilien mais également un Senor II, un Capitaine et un Croupier malicieux, tandis que Kevin Amiel est un douloureux Grand Inquisiteur, aux aigus tirés, travers que l’on retrouve dans chacune de ses apparitions. Nicolas Rivenq enfin, comme Lambert Wilson en 2006 dans l’inoubliable Candide donné au Châtelet, est un Pangloss (mais aussi un Cacambo et un Martin) qui brille par son humour et son intelligence, tout en maniant la langue anglaise avec un bel aplomb.
François Lesueur
Bernstein : Candide (version de concert) – Paris, Théâtre des Champs Elysées, 17 octobre 2018.
Photo © Jennie Moser
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