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Bruxelles - Compte-rendu : La vérité sur Wozzeck ?


Voilà, c’est ainsi qu’on doit se confronter aux chefs-d’œuvre : dans la nudité la plus totale. Fidèle aux préceptes qui ont fait les riches (et très controversées) heures de l’Opera factory de Londres dans les années quatre-vingts, son fondateur David Freeman a tenté sur la scène de la Monnaie un Wozzeck débarrassé de tout décor, et en sobres costumes d’époque – on exécutera Johann Christian Woyzeck, l’inspirateur du personnage de Büchner, le 27 Aout 1824 sur la place du marché de Leipzig. Tout le spectacle est dans les mains de l’éclairagiste (Michael Simon), les âmes des protagonistes exposées par la direction d’acteur subtile du metteur en scène. Il n’en faut pas plus pour extirper Wozzeck des abîmes trash où on l’embourbe trop souvent, et lui rendre son ton de fable esseulée.

Comme Jean-François Sivadier à Lille la saison dernière, David Freeman montre que dans cette histoire tous sont fous, sinon le rôle titre justement. La force du spectacle repose en grande part sur les qualités d’acteur de Dietrich Henschel et de Solveig Kringelborn, littéralement habités par leurs personnages. Les silhouettes des comprimari sont tranchantes, du tambour-major beau gosse – Freeman ne se prive pas de le déshabiller entièrement et nous le montre baisant Marie à l’avant-scène, ce qui fait glousser certaines abonnées - de Tom Randle, à la Magret de Sara Fulgoni en passant par l’Andres de Marcel Rijans.

Bémol pourtant : Henschel a le baryton trop clair pour saisir les graves que Berg lui destine : Berry, ou des barytons presque basses, y sont plus à l’aise, et l’on se demande si pour le Wozzeck selon Marthaler annoncé à Bastille, Keenlyside - un Pelléas ! – ne s’y fourvoiera pas lui aussi. Plus délicat encore : ni Nasrawi, étranglé par les aigus du Capitaine, ni Rootering, atone en Docteur, ne passent la rampe de l’orchestre voulu par Mark Wigglesworth, agressif, anguleux, vert, qui revendique une modernité trop univoque. Conception limite qui dotée d’un plateau plus corsé aurait trouvé sa pleine légitimation.

Jean-Charles Hoffelé

Alban Berg, Wozzeck, Théâtre de la Monnaie, Bruxelles, le 2 mars, puis les 4, 6, 7, 9, 11 et 12 mars 2008.

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Photo : Maarten Vanden Abeele

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