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Bertrand Chamayou joue Charles Ives au Printemps des Arts de Monte-Carlo – Défi et transcendance – Compte-rendu

Toujours aussi inventif, le compositeur Marc Monnet, conseiller artistique du Printemps des Arts de Monte-Carlo, a concocté pour 2018 un programme qui, comme à l’accoutumée, sort des sentiers battus. Outre des musiques rares, des œuvres inachevées de Mozart, le Quatuor à cordes n° 2 de Morton Feldman – d’une durée de cinq heures ! – ou l’intégrale des Sequenze de Berio, l’accent est mis cette année sur l’œuvre der l’Américain Charles Ives (1874-1954) à travers symphonies, pages pour piano, musique de chambre, chant, etc.
 
Morceau de résistance, la Sonate n° 2 pour piano « Concord, Mass., 1840-1860 » trouve en Bertrand Chamayou (photo) un interprète qui, par ses moyens fabuleux et sa concentration surhumaine, domine de toute son autorité une pièce colossale de cinquante minutes (échafaudée entre 1904 et 1924), immense mosaïque en quatre mouvements défiant la logique de la forme sonate. Maître des éléments, capable de clarifier la densité et la compacité de cette partition dédiée à des penseurs américains du XIXe siècle, dont le philosophe Ralph Emerson, le soliste, pourtant sollicité en permanence, sait donner du sens à cette profusion de thèmes qui se chevauchent (entre ragtime, chants populaires, chorals religieux, thème du Destin de la Cinquième de Beethoven …).
L’instrument devient un véritable orchestre sous des doigts à la fois puissants et agiles qui ne perdent jamais de vue la portée de ce monument, véritable Everest, exigeant de l’interprète un investissement total et une fougue peu commune, mais plus encore une intelligence d’approche à travers blocs sonores, clusters, mélodies entrecoupées ... Chamayou ne se perd jamais dans ce dédale qu’il transcende et rend accessible. Le mouvement final, promenade dans la nature américaine en hommage à Henry David Thoreau, écologiste avant la lettre, diffuse des instants de poésie pure. Les interventions très brèves de l’altiste François Duchesne puis, in fine, de la flûtiste Christine Crespy rajoutent un élément onirique particulièrement bienvenu. 

Bertrand Chamayou & Tamara Stefanovich © Alain Hanel
 
Complément à cette soirée, en début de concert, la minérale Sequenza IV de Berio était superbement exécutée par le pianiste Julien Blanc (qui a remporté il y a quelques jours le Prix Mention Spéciale « Maurice Ohana » au 13e Concours international d’Orléans) à la technique à la fois souple et libre.
A deux pianos avec Tamara Stefanovich, Bertrand Chamayou a également exploré les Three Quarter-Tone Pieces de Ives (pour claviers accordés en quarts de ton) Cette étonnante vision sonore, doublée d’une recherche subtile sur la vibration et la résonance, constituait un moment d’exception avant la somptueuse « Concord » acclamée par un public nombreux conscient d’assister à un événement.
 
Le Printemps des Arts 2018 se poursuit jusqu’au 8 avril pour sa partie musicale, une coda chorégraphique par les Ballets de Monte-Carlo le refermant définitivement le 29 avril.
 
Michel Le Naour

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Monte-Carlo, Opéra Garnier, Festival du Printemps des Arts, 31 mars 2018 / Jusqu’au 29 avril 2018 : www.printempsdesarts.com/

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