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Beaune - Compte-rendu : Coup de jeune pour Mozart



Mozart a eu 20 ans, le week-end dernier au Festival de Beaune. Façon de parler, bien sûr : pour ses 250 ans, il y a retrouvé toute sa jeunesse. C’est là l’essentiel. Tout a commencé avec une rareté – dans tous les sens du terme – La Betulia liberata, son seul vrai oratorio écrit par un Wolfgang de 15 ans dont les oreilles bruissent encore de ce qu’il a découvert lors de son long séjour en Italie, à commencer par la pyrotechnie vocale propre à l’opéra napolitain: et cela s’entend !

C’est justement au Napolitain Antonio Florio et à son superbe orchestre, dit Cappella de’Turchini si bien rompu au baroque local, que la responsable depuis un quart de siècle du festival bourguignon, Anne Blanchard, a confié cette délicate résurrection. Même les solistes ont été à l’école napolitaine. Ce qui ajoute à la cohésion d’ensemble. Seul le noble ténor japonais Makoto Sakurada, drapé dans la dignité protestante de l’Evangéliste des Passions germaniques, se laissera surprendre par le déferlement virtuose de l’air d’entrée d’Ozia, proprement assassin! Quant au Chœur de chambre de Namur, lorsqu’il aura retrouvé, en seconde partie, avec la bonne partition la bonne version de La Betulia liberata, il sera aussi irréprochable qu’à l’accoutumée.

Mais c’est surtout l’orchestre qui a été à son affaire et a comblé les auditeurs. Car, à 15 ans, Mozart y témoigne d’une stupéfiante maîtrise d’un style déjà très personnel en ce qu’il réalise une synthèse parfaitement équilibrée entre la musique du nord et celle du sud. Ainsi l’importance des vents ne laisse pas d’y surprendre en respirant avec les chanteurs. Bravo au chef et à sa phalange.

Mais c’est le lendemain soir, toujours dans la magnifique basilique romane de Beaune, qu’un véritable miracle devait se produire avec Idoménée. Le premier grand chef-d’œuvre lyrique de Mozart, se situe juste dix ans après La Betulia liberata et dix ans avant la mort du compositeur: tout un symbole que le chef français de 33 ans Jérémie Rhorer a su mettre en relief avec une force de conviction rare à la tête de son orchestre aussi jeune que lui, Le cercle de l’harmonie. Une phalange qui mérite son nom, car il y règne une entente parfaite fondée sur la camaraderie complice comme sur l’autorité morale du premier violon Julien Chauvin.

Car on pouvait légitimement se poser la question de savoir comment le dernier né des orchestres baroques tricolores allait se comporter face à la partition la plus foisonnante, et partant la plus difficile de Mozart. Or, ce fut, de la première note de l’ouverture à la dernière du finale, une explosion contrôlée de passion et de beauté sonore inimaginables, en accord parfait avec l’extraordinaire montée de sève que représente l’orchestre d’Idoménée: les contemporains habitués au simplisme des lignes mélodiques italiennes, se sont arraché les cheveux devant pareille avalanche de notes dont leurs oreilles n’arrivaient pas à contrôler le flux!

Jérémie Rhorer, ses musiciens, ses chanteurs aussi jeunes qu’eux ainsi que le chœur de Namur y parviennent parfaitement dans le déchaînement des tempêtes comme dans l’expression de l’amour le plus éthéré. Car si notre Mozart de 25 ans roule les mécaniques à l’orchestre, c’est pour mieux soutenir le chant et incarner les caractères parfois stéréotypés du livret de Varesco. La distribution n’a rien à envier en fraîcheur, en sûreté technique, en fougue et en beauté sonore aux instruments: le cercle de l’harmonie s’agrandit aux chanteurs solistes. En dépit de sa jeunesse – qui ne rime nullement avec inexpérience ! - c’est une vraie distribution de festival international qu’a concoctée Anne Blanchard.

La maturité et l’endurance du jeune ténor italien Stefano Ferrari émerveillent dans le rôle-titre. Les fabuleux progrès de notre soprano Magali Léger, Ilia charmeuse et rêveuse à souhait, lui promettent la plus belle carrière mozartienne. L’Idamante de la mezzo Renata Pokupic est bouleversante dans chacune de ses inflexions. Si la soprano Raffaela Milanesi a le format pour le grand air de fureur d’Elettra, elle témoigne d’une musicalité constante tout au long de ses interventions. Même compliment pour le magnifique ténor américain, ancien élève du Centre de Musique baroque de Versailles, Robert Getchell dans le rôle d’Arbace, et pour le baryton basse italien Sergio Foresti qui chante la Voix. Le chœur de Namur a été exemplaire dans un opéra où son rôle est essentiel.

Le miracle, c’est que personne ne s’est aperçu de l’absence de mise en scène ! Ce qui a le mérite de prouver la primauté de la musique et du chef dans les opéras de Mozart. Seul regret : l’absence d’une radio pour capter et faire partager à un plus large public des moments aussi rares et constater la naissance d’un chef. Certains préfèrent la routine, ou le soleil, d’Aix en Provence ou de Montpellier avec ses programmations bizarroïdes…

Jacques Doucelin

Mozart n’a pas fini de hanter le Festival de Beaune au long de ses trois derniers week-ends. La mezzo Anna Bonatibus chante des airs d’opéras, le 16 juillet, Don Giovanni clôturant le cru 2006, les 28 et 30 juillet, sous la direction de Sigiswald Kuijken.
Places encore disponibles pour le festival.


Photo : DR

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