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Baryton bellinien - Une interview de Mariusz Kwiecien

Après sa performance dans le rôle-titre du Roi Roger de Karol Szymanowki mis en scène par le sulfureux Krzysztof Warlikowski en 2009, sur cette scène de la Bastille où il a débuté en 2006, déjà dans une production signée Laurent Pelly, le baryton polonais Mariusz Kwiecen retrouve l'Opéra National pour une série de représentations d'I Puritani de Bellini, jusqu'au 19 décembre. Il nous parle de son art, de ses choix, du bel canto et de son actualité, tout en acceptant de revenir sur son passé avec justesse et sérénité.

Vous répétez actuellement la nouvelle production d'I Puritani de Bellini dans laquelle vous interprétez Riccardo, un personnage qui vous est familier. Qu'est-ce qui importe le plus lorsque vous décidez de mettre un nouveau rôle à votre actif : la beauté de la musique ou les aspects dramatiques du personnage ?

Mariusz Kwiecien : Dans le cas précis d'I Puritani, seule la très belle musique de Bellini m'intéresse, car il faut bien avouer que l’histoire est médiocre par rapport à la qualité de la partition et mon personnage, Riccardo, est simplement un soldat jaloux d'une femme qu'il aime, Elvira. Le livret n'est pas particulièrement passionnant et de ce fait ce ne sont pas les aspects dramatiques qui m'ont poussés à chanter ce rôle, mais la beauté de la musique.

I Puritani de Bellini comme Lucia di Lammermoor de Donizetti, est construit très équitablement autour de quatre personnages (soprano, ténor, basse et baryton). Quelle satisfaction ressentez-vous en chantant de telles partitions ?

M.K. : Le bel canto a pour but de valoriser le chant et, dans la plupart des œuvres de Donizetti et de Bellini, nous retrouvons souvent une intrigue très simple magnifiée par la ligne vocale et mélodique. Lucia di Lammermoor est selon moi supérieure d'un point de vue artistique aux Puritani. La seule satisfaction que me procure le rôle de Riccardo provient de la richesse de ses airs, duos et ensembles. Bien sûr j'essaie toujours de chanter le mieux que je le peux, mais pour moi qui suis un artiste qui aime autant le chant que le jeu, il n'y a pas grand chose à faire sur scène en tant que comédien dans I Puritani.

Le metteur en scène de cette production est Laurent Pelly avec lequel vous avez déjà travaillé le rôle de Belcore dans L'Elisir d'amore qui marquait vos débuts sur le scène de l'Opéra Bastille. De quelle manière travaillez-vous avec cet artiste connu pour son sens de l'humour et les nombreuses comédies qu'il a réalisées comme La fille du régiment et les opérettes d'Offenbach ?

M.K. : Il s'agit en vérité de ma première collaboration avec Laurent Pelly car je n'avais pas travaillé avec lui au moment de la reprise de L'Elisir d'amore en 2006 et honnêtement je me souviens assez mal de cette production. Comme je vous l'ai dit l'histoire que raconte I Puritani n'est pas d'un grand intérêt, ce qui rend les choses difficiles pour un metteur en scène qui doit créer un univers intéressant au plateau. Laurent est une personne très sympathique qui vérifie chaque détail de son travail, ce qui me force à croire que l'audience appréciera sa nouvelle production autant que nous, interprètes, l'apprécions.

Je vous ai entendu dire que lorsque vous aviez quitté votre pays pour venir en Amérique et devenir étudiant au sein du Lindemann Young Artist Development program of the Met, vous aviez besoin d'un bon professeur, car ceux avec lesquels vous aviez étudié étaient très mauvais. Pouvez-vous me raconter dans quel état d’esprit vous avez suivi votre première leçon à New York et comment vous avez finalement trouvé votre voix de baryton ?

M.K : Vous savez j'étais un très jeune chanteur en 1998 et après mes études à Cracovie et à Varsovie je ne possédais pas une grande technique vocale. Au début je n'aimais pas beaucoup l'opéra puis j'ai compris progressivement que ce métier me permettrait de survivre en tant qu'artiste et que le jeu et le chant étaient une chance pour moi. Lorsque j'avais 23 ans quelques petits théâtres européens m'ont proposé de chanter des rôles verdiens trop lourds et je ne pouvais tout simplement pas les accepter. A New York j'ai rencontré un bon professeur qui m'a aidé à corriger mes problèmes vocaux et en deux ans seulement j'ai pu commencer à travailler dans les plus grandes maisons d'opéras du monde et interpréter des rôles de plus en plus intéressants. J'ai toujours su que j'avais un potentiel mais j'avais besoin que quelqu'un le découvre. Le programme du Met de New York m'a donné l'opportunité de passer des auditions devant des gens importants qui m'ont permis d’obtenir de beaux contrats.

Vous alternez des œuvres en italien, quelques titres issus du répertoire français, avec le russe Onéguine et le polonais Roi Roger. Comment concevez-vous depuis vos débuts le développement de votre carrière : avez-vous toujours su exactement quel rôles il vous fallait aborder où avez-vous toujours laissé une place au destin au gré des propositions qui vous ont été faites ?

M.K : J'aime à peu près tous les rôles que j'ai abordés jusqu'à présent : certains d'entre eux comme Don Giovanni que je chante depuis 2002 ont des personnalités intéressantes qui me permettent d'inventer des caractères et de révéler une part de moi-même. Le Comte, Onéguine, Le Roi Roger, Rodrigo ou Malatesta sont mes préférés à l'heure actuelle, mais j'en prépare d'autres qui vont suivre l'évolution de ma voix. Je vais être bientôt amené à interpréter des rôles de Verdi qui vont m'ouvrir naturellement la voie vers le vérisme.

Ici à Paris vous êtes déjà apparu en Belcore en 2006, deux ans plus tard vous étiez Onéguine dans la fameuse production de Tcherniakov et en 2009 abordiez votre premier Roi Roger imaginé par Warlikowski. Etes-vous quelqu'un qui joue naturellement, avec facilité, ou un chanteur qui a besoin d'être dirigé très précisément pour se sentir libre en scène ?

M.K : Il m'est difficile de dire ce que je préfère. J'aime les bonnes productions et cherche toujours à apporter une touche personnelle à mes personnages. J’accepte difficilement de me retrouver face à des metteurs en scène non préparés, mais malheureusement c'est fréquent ! Quand je sens qu'un metteur en scène me laisse libre, j'essaie de coopérer avec elle ou lui, pour rendre mon personnage réel, intéressant et aussi coloré que possible.

Pouvez-vous me dire quelques mots au sujet du jeune chef italien Michele Mariotti qui dirige I Puritani à Paris et avec lequel vous chanterez à nouveau cet opéra au Met en mai prochain ?

M.K : Michele Mariotti sait exactement ce qu'il veut faire et réalise de très belles choses. J'espère pouvoir travailler avec lui davantage dans le futur. Technique parfaite, personnalité brillante et goûts très sûrs font de lui l'un des jeunes chefs d'opéra les plus intéressants de sa génération.

Propos recueillis et traduits de l'anglais par François Lesueur, le 20 novembre 2013.

Bellini : I Puritani
Les 3, 6, 9, 12, 14, 17 et 19 décembre 2013
Paris – Opéra Bastille

Photo : Mikolaj Mikolajczyk

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