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Barbe-Bleue selon Laurent Pelly à l’Opéra de Marseille – Sexe, faux meurtres et vrais fous-rires – Compte-rendu

Créé en juin dernier à Lyon, ce Barbe-Bleue d’Offenbach, coproduit avec l’Opéra de Marseille, était à l’affiche à deux pas des quais du Vieux-Port pour passer d’une année à l’autre. Cinq représentations d’une œuvre jusqu’alors jamais donnée en terre phocéenne et qui a eu l’heur de réjouir un public sensible à la mise en scène inventive et débridée de Laurent Pelly, à la direction généreuse et intelligente de Nader Abbassi et aux qualités multiples d’une distribution homogène et joueuse.
Car il faut avoir envie de jouer lorsque Laurent Pelly met en scène … Spécialiste, s’il en est, d’Offenbach (il travaille ici pour la onzième fois sur l’une de ses œuvres) Pelly n’ignore rien des facettes multiples, cachées ou non, d’un conte de Perrault largement remanié par les librettistes Meilhac et Halévy sur lequel il porte un regard contemporain avec un sérial killer érotomane, un tyran détestable et des femmes qui, sans en avoir l’air, tirent les ficelles afin d’obtenir ce qu’elles désirent. De plus le metteur en scène ne se voile pas la face en n’ignorant rien de l’érotisme latent qui traverse la pièce. Le tout avec tact et inventivité.
 
Le mariage du Prince Saphir (Jérémy Duffau) avec la princesse Hermia (Jennifer Courcier) © Christian Dresse

C’est au ténor Florian Laconi (photo à dr.)que revient le challenge d’incarner Barbe-Bleue. Look hipster, tiré à quatre épingles en costume sombre ou vêtu de cuir, il impose sans faillir son personnage qui balance entre Casanova et Landru. Inquiétant ou désopilant, Laconi livre ici une réelle performance théâtrale et vocale avec aisance et talent.
A cet érotomane hors pair, il fallait marier une nymphomane voluptueuse, ce qui est fait avec la Boulotte d’Héloïse Mas (photo à g.). Toutes chairs dehors, ou presque (« c’est un Rubens », ne l’oublions pas ...), la gaillarde campagnarde accompagnée d’un beau mezzo affuté cherche l’amour dans le pré et la bagatelle un peu partout.
 

Popolani (Guillaume Andrieux) et le comte Oscar (Francis Dudziak) © Christian Dresse

Bergère Fleurette qui deviendra Princesse Hermia, Jennifer Courcier promène son joli minois et sa voix de soprano assurée entre une maisonnette un tantinet sordide et les ors d’un palais royal où finalement, elle épousera l’élu de son cœur, le prince Saphir, plus grand dadais que noble hautain, auquel Jérémy Duffau prête ses traits avec bonheur. Le Popolani de Guillaume Andrieux, âme damnée de Barbe-Bleue, inquiète en alchimiste un peu fou et nous réjouit en pseudo tenancier d’un boudoir de maison close où il entretient les ex-femmes de son sérial killer de maître, ressuscitées par ses soins, dont il profite désormais des faveurs. Ainsi Héloïse, Eléonore, Isaure, Rosalinde et Blanche, lascives, ont les voix agréables et les traits charmants d’Emilie Bernou, Pascale Bonnet-Dupeyron, Marianne Pobbig, Elena Le Fur et Mélanie Audefroy.  Francis Dudziak est un savoureux Comte Oscar dégoulinant d’obséquiosité pour un roi Bobèche court sur pattes et odieux à souhait idéalement incarné par Antoine Normand. Cécile Galois est une solide Reine Clémentine et Jean-Michel Muscat un éphémère Alvarez.

Le chœur de l’Opéra, idéalement mis en voix par Emmanuel Trenque, est très actif et le son d’un excellent Orchestre de Marseille est en parfaite adéquation avec la partition d’Offenbach. Il faut dire que Nader Abbassi, découvrant avec délectation cette partition, profitait de la complicité nouée depuis des années avec les instrumentistes marseillais pour exploiter leurs couleurs et leurs qualités. Que du bonheur pour débuter une nouvelle décennie !
 
Michel Egéa   

Offenbach : Barbe-Bleue – Marseille, Opéra, 28 décembre 2019 ; prochaines représentations les 3 et 5 janvier 2020 // opera.marseille.fr/

Photo :  Boulotte (Héloïse Mas) et Barbe-Bleue (Florian Laconi) © Christian Dresse

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