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Armide de Lully à l’Opéra de Dijon (reprise à Versailles les 11, 13 & 14 mai) – Fortunée Armide
Puisque Lully n’a toujours pas les honneurs d’une programmation à l’Opéra de Paris dont il fut pourtant le cofondateur, c’est à Dijon, puis à Versailles, que l’on goûte les charmes de son pénultième ouvrage lyrique.
On était un peu perplexe en pénétrant dans le vaste Auditorium davantage destiné à Verdi et Wagner qu’au baroque. Qu’allait-on perdre de la subtilité du continuo et de la délicatesse du récitatif ? La magnifique langue de Philippe Quinault, dont Dominique Pitoiset a raison de souligner les qualités dramatiques, s’égare parmi les gradins d’un décor trop ouvert où les chanteurs peinent à jauger leur projection, notamment David Tricou et Marie Perbost. Mais la qualité d’ensemble du plateau rassure vite. Le chœur articule impeccablement ses interventions et chaque second rôle intéresse. C’est la Haine abyssale de Timothée Varon, tout de noir et de fausse fourrure vêtu, c’est l’Ubalde imprécatif de Virgile Ancely, le timbre pulpeux d’Eva Zaïcik et l’Hidraot de belle tenue de Tomislav Lavoie.
Cyril Auvity s’avère le Renaud que l’on attendait. Il est le parangon du haute-contre français, dans la lignée d’un Fouchécourt et d’un Paul Agnew. Son timbre mélancolique et sa diction magistrale livrent un enjôleur Sommeil et un bouleversant duo avec Armide (acte V) durant lequel Lully entrelace si bien les ardeurs aux regrets.
Stéphanie d’Oustrac (photo) tenait ce même rôle pour William Christie et Robert Carsen au Théâtre des Champs-Élysées en 2008. Elle a encore gagné en intensité. « Enfin il est en ma puissance » est une leçon de déclamation et d’analyse psychologique, permettant au passage de donner du sens à des éclats parfois métalliques. Elle restera une immense Armide, avec les vétéranes Rachel Yakar, Guillemette Laurens et Véronique Gens.
En fosse, Vincent Dumestre et son Poème Harmonique excellent. Ni végane ni carnassière, sa direction, née au baroque avec la subtilité des cordes pincées, tient le parfait équilibre. Ouverture et ballets ont de l’allant et du mordant, le son est constamment charnu, coloré, sans jamais tomber dans une inutile précipitation. Il n’y a rien d’étriqué ni de niaiseux dans son art de faire éclore la prosodie. Après un anthologique Bourgeois gentilhomme et un excellent Phaéton, Dumestre et les siens proposent l’accord idéal du Seicento et du ballet de cour.
Dominique Pitoiset choisit une modernité lisible où les images et les situations renvoient à un déjà-vu qui ne heurte personne. La chorégraphie de Bruno Benne ose un clin d’œil racé au film Le Roi danse. Robert Carsen habillait déjà les personnages en costumes de ville et Warlikowski, pour Iphigénie de Gluck, mettait un Ehpad en scène. C’est ce à quoi l’on assiste durant la Passacaille développant les vers de Quinault : « Dans l’hiver de nos ans l’amour ne règne plus, les beaux jours que l’on perd sont à jamais perdus. »
Gageons que la reprise de cette Armide à l’Opéra Royal de Versailles profitera de son acoustique idoine, tant il est rare d’entendre un Lully si musicalement enchanteur.
Vincent Borel
Lully : Armide - Dijon, Auditorium Robert Poujade, 29 avril 2023. Reprise à l’Opéra Royal de Versailles les 11, 13 & 14 mai. // www.chateauversailles-spectacles.fr/programmation/lully-armide_e2607
Photo © Mirco Magliocca
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