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Ariane Matiakh dirige Fauré et Franck à l’Orchestre national du Capitole – Les Toulousains en leur jardin – Compte-rendu

Le répertoire de l’Orchestre national du Capitole a énormément évolué depuis les années Plasson. Sous l’impulsion de Tugan Sokhiev, en activité de 2005 à 2022, tout comme celle de chefs invités (dont plusieurs, s’agissant des plus jeunes, ont fait là leurs débuts français), la phalange toulousaine a beaucoup fréquenté les compositeurs russes et allemands. Reste que l’ADN de l’ONCT est et demeure la musique française, domaine dans lequel il a autrefois bâti son image, mettant volontiers l’accent sur des auteurs et des ouvrages délaissés du XIXe et du début du XXe siècle. Démarche visionnaire si l’on en juge par l’intérêt dont ceux-ci bénéficient aujourd’hui, grâce en particulier à l’action menée depuis une douzaine d’années par le Palazzetto Bru Zane.
 
On ne s’est donc pas étonné de trouver ce dernier associé à l’Orchestre du Capitole à l’occasion d’un passionnant programme réunissant Gabriel Fauré et César Franck. Deux noms certes bien connus du public, mais hormis la Suite de Pelléas et Mélisande, assez souvent programmée, le reste des œuvres présentées avait de quoi attirer les curieux. La proposition s’avérait d’autant plus engageante qu’Ariane Matiakh (photo) en assurait la direction. Cette remarquable cheffe, très demandée hors de nos frontières (outre-Rhin en particulier), séduit tant par l’élégance et la sûreté de sa battue que son sens du style.
 

Florie Valiquette © Romain Alcaraz
 
Il sont « chez eux », se dit-on entendant les Toulousains attaquer le Prélude de la Suite d’orchestre de Pelléas et Mélisande. Ce « grain » du son, cette plénitude : les musiciens sont bien dans leur jardin. Et quelle justesse du caractère de la part d’une cheffe dont le sens du bon tempo (merveilleuse Sicilienne, emplie d’un bonheur secret ...) charme autant que celui de la couleur au cours d’un Opus 80 où la voix lumineuse de Florie Valiquette dispose du plus bel écrin pour la Chanson de Mélisande, avant que l’auditeur ne soit pris par une Mort intense mais sans rien de forcé.
 
Suivent, toujours de Fauré, cinq mélodies (originellement pour voix et piano), orchestrées pour quatre d’entre elles par l’auteur (Clair de lune, En prière, Chanson du Pêcheur, Roses d’Ispahan), Tarentelle l’ayant été par les soins d’André Messager. Exhumées par les soins du PBZ, ces partitions qui dormaient BnF reprennent vie – de la plus luxueuse façon ! Porté par un orchestre subtilement mouvant, Julien Behr offre un prenant Clair de lune. Il serait facile d’en faire trop dans En prière ou la Chanson du pêcheur : rien à craindre avec Jean-Sébastien Bou qui vise juste et émeut en se gardant de toute emphase. On cède instantanément à la poésie frémissante de Florie Valiquette dans les Roses d’Ispahan, tandis que les coloris subtils de l’orchestre placent la musique sous un ciel de conte. La soprano québécoise se partage enfin la Tarentelle avec Julien Behr. Tout n’y est que complicité et élan amoureux : un vrai délice !

 

Le chœur Orfeón Donostiarra © Romain Alacaraz

Changement complet d’atmosphère en seconde partie, où l’on retrouve les voix à l’œuvre dans Fauré, mais aussi Orfeón Donostiarra, partenaire historique de l’Orchestre du Capitole, pour une rareté : Les Sept Paroles du Christ en croix de César Franck. Terminée en août 1859 – postérieure de quelques mois donc à l’arrivée du musicien à la tribune de Sainte-Clotilde – la partition a dormi près d’un siècle dans des collections privées et n’a acquis d’existence officielle dans le catalogue du compositeur qu’au moment de son acquisition par la Bibliothèque universitaire de Liège, en 1955. Une œuvre de la jeunesse du vieux Franck pourrait-on dire, puisqu’elle se situe à l’orée de la période de maturité au cours de laquelle naîtront les ouvrages qui ont fait sa postérité.

 

Jean-Sébastien Bou © Romain Alacaraz
 
Pureté, ferveur : on comprend dès le Prologue qu’Ariane Mathiakh a choisi la bonne voie pour révéler les qualités de la pièce. Elle peut il est vrai compter sur Florie Valiquette, Julien Behr, Jean-Sébastien Bou et sur un chœur (préparé par José Antonio Sainz Alfaro) parmi les meilleurs qui se puissent trouver. Il se révèle d’une homogénéité sidérante dès son entrée (féminine) dans la 1ère Parole et demeurera pleinement maître de son sujet jusqu’au terme de l’ouvrage.
 

Julien Behr © Romain Alacaraz

La partition de Franck pourrait verser dans le saint-sulpicien, l’effet facile, n’était l’intelligence d’une cheffe dont le propos convainc par sa fluidité et son relief dramatique. La 4e Parole, toute chorale et d’une émouvante concentration poétique, et la 5e (Sitio), saisissante, avec un Jean-Sébastien Bou déchirant, en alternance avec le chœur, aussi opposées dans leur expression que justement caractérisées par Ariane Matiakh, soulignent son aptitude à restituer la musique dans toute sa variété. Jusqu’à l’ultime 7Parole au cours de laquelle Julien Behr rivalise de ferveur avec le chœur en conservant la sobriété requise par le contexte.
Ferveur à laquelle répondent les applaudissements enthousiastes d’un public nombreux. Les micros de France Musique étaient heureusement présents à la Halle aux grains : on pourra savourer cette très belle soirée de musique française sur les ondes, le 15 avril à 20h.
 
Alain Cochard
 

Toulouse, Halle aux grains, 28 mars 2024
(Retransmission sur France Musique le 15 avril à 20h)
 
Photo © Romain Alcaraz

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