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Alonzo King et le Lines Ballet dans Constellation - Le grand et le beau vide - Compte-rendu

Ne boudons pas notre plaisir : d’abord celui de voir une compagnie fameuse, puisque son chorégraphe et fondateur, Alonzo King, a été qualifié de «  trésor de San Francisco » par le maire de la ville, où réside le Lines ballet depuis sa création en 1982. Jean Christophe Maillot, qui connaît les bonnes adresses, lui avait déjà commandé en 2010 une pièce pour la compagnie de Monte Carlo, Writing Ground. Et voici, au sein d’une petite tournée française, l’ambitieux Constellation, créé l’an passé. C’est une intéressante synthèse de ce que l’ancien et le nouveau monde ont su tirer des corps façonnés par la discipline classique, mais avec un esprit d’extrême sophistication qui ne répond pas à nos attentes. King, qui fut danseur chez Alvin Ailey, en a gardé la sinuosité, la plasticité, mais sans l’élan de joie ravageuse, la force tripale qui portait ces pionniers du black dance power. Admirateur de Balanchine, il en retire aussi une alchimie certaine avec la musique, le chic plus que le choc, et une complaisance dans le désir de séduire, qui n’était certes pas le meilleur du géorgien américanisé.

On voit des lumières, ou plutôt des spots ou des ampoules électriques, avec lesquels les danseurs s’amusent et esquissent des figures qui n’ont pas la fantaisie du music hall, ni l’esprit abstraitement décalé d’Alwin Nikolais, qui fut le maître du jeu lumineux sur scène. Essai sur la forme et le fond (vaste programme), Constellation regroupe malheureusement tous les poncifs à la modes surtout avec une sorte de pythie en robe de diva flamenca, Maya Lahyani, lançant d’une voix profonde (donc inspirée) des modulations à la grecque, à la juive, à l’arabe, à la Monteverdi (parfois du vrai baroque), à l’Arvo Pärt, principalement signées de Leslie Stuck, Somel Satoh et Benjamin Juodvalkis. On est dans le pluriculturel : sympathique, mais sans synthèse, et surtout sans âme. Les douze danseurs - magnifiques -, ondulent, ondulent, puis tournoient, et enfin sautent (un peu) en un perpetuum mobile, mêlant avec élégance modern art à la danse orientale ou aux circonvolutions des derviches, sans créer la moindre tension, mais en donnant incontestablement un soupçon de mal de mer.

La deuxième partie met heureusement en scène des pas de deux magnifiques, où l’on admire plus encore la grâce des corps entremêlés comme des lianes, mais toujours sans vraie émotion poétique. Et la dame fait encore entendre ses oracles, dont le caractère sombre finit par paraître surfait, tant ils restent sans mise en situation parlante. Dommage, car l’ensemble révèle un grand talent du mouvement et un sympathique désir d’embrasser le monde. Mais la beauté du beau ne suffit pas toujours !

Jacqueline Thuilleux

Constellation, par le Alonzo King Lines Ballet – Paris, Théâtre National de Chaillot, le 11 décembre 2013

Photo © RJ Muna

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