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Alexandre Kantorow au 40e Festival Piano aux Jacobins – Envoûtement poétique – Compte-rendu

 40ème Festival : Piano aux Jacobins franchit cette année un cap symbolique que Catherine d’Argoubet et Paul-Arnaud Péjouan, co-fondateurs et co-directeurs artistiques du plus ancien festival de piano français, abordent avec le sourire. Le public est au rendez-vous (hausse de 30 % des réservations par rapport à l’an dernier) attiré par une programmation de très haute tenue.

Un célèbre aîné, Christian Zacharias, un jeune talent en plein envol, Alexandre Kantorow et un jazzman parmi les plus réputés, Jacky Terrasson : les trois noms inscrits en tête de l’affiche 2019 résument à eux seuls la politique artistique qui a fait le succès des Jacobins. La scène de la chapelle capitulaire du Cloître à l’habitude de recevoir de très grands noms du clavier, mais aussi d’accueillir, à la même heure et avec les mêmes égards, de jeunes espoirs. Ce n’est plus le cas d’Alexandre Kantrorow, sacré par le Concours Tchaïkovski en juin dernier ? Certes, mais ça l’était en 2017 lorsque l’on commençait seulement à parler du Français. Une fois de plus – comme il l’avait fait avec Bertrand Chamayou – le festival aura su repérer et donner sa place à un immense talent bien avant que ne sonnent les trompettes de la renommée.

Plus une place de libre pour le récital de Kantorow ; il gagne le clavier avec la même simplicité qu’on lui connaît depuis toujours (la soirée est diffusée en direct sur France Musique). Rhapsodie en si mineur op. 79 n°1 : aussi fougueux que dominé, ce Brahms happe l’attention du public avec les couleurs idoines, une sonorité d’une rare plénitude, une souplesse de ligne et un lyrisme non moins convaincants. Accord du timbre et de l’esprit de la musique : Chasse-neige de Liszt en offre un exemple saisissant, servi par un jeu contrasté, d’un grande puissance visuelle quoique dénué de tout effet. Une part du symbolisme debussyste se profile ici.

Vient la Sonate n° 2 (Op. 2 n° 2) de Beethoven, que Kantorow a déjà beaucoup donnée en concert – on se souvient d’un très beau récital au Festival Chopin de Bagatelle en juillet 2018. Pour ceux qui disposent d’un point de comparaison, quel approfondissement de l’interprétation note-t-on. Pas une once d’habitude, de routine ne pointe le bout du nez : l’artiste explore ce Beethoven de jeunesse, encore tributaire de Haydn, mais déjà tellement foisonnant de l’énergie créatrice qui conduira le musicien jusqu’à l’Opus 111, avec un justesse stylistique et un équilibre idéal, un art de relancer le propos aussi, toujours ancré dans la logique harmonique de la musique. Quelle main gauche ! – main de gaucher il est vrai ...
 

© Piano aux Jacobins

Judicieuse idée que d’avoir placé la rare Sonate n° 2 de Brahms en regard de celle de Beethoven. Là encore, le pianiste est en terrain connu et l’on mesure l’évolution de sa conception depuis un récital à la Fondation Vuitton en juin 2017. Déjà considérable chez Beethoven, elle se révèle proprement saisissante ici. L’Opus 2 est l’une des « symphonies déguisées » que le jeune Brahms présenta à Schumann en 1853 et qui fascinèrent tant son aîné. Kantorow parvient à littéralement orchestrer la Sonate en fa dièse mineur, avec une palette sonore d’une variété confondante (cette main droite qui va chercher ici un hautbois, là une clarinette ...). Il sonde en permanence les tréfonds du texte et débusque d’étonnantes audaces et étrangetés dans l’écriture d’un jeune musicien infiniment moins « sage » que d’aucuns voudraient l’imaginer – « Brahms le progressiste », écrira plus tard Schoenberg ...  La Sonate n° 2 n’appartient pas à la catégorie de ce que l’on désigne trivialement comme des œuvres « payantes ». Test révélateur : il faut être un immense musicien – et un sacré artiste ! – pour parvenir à l’envoûtement poétique que le jeune homme (22 ans ...) y installe de bout en bout.
Poésie encore, pour conclure, avec un 6ème Nocturne de Fauré, intériorisé, frémissant, secret. A l’évidence, l’interprète a beaucoup à apporter chez cet auteur.
Deux bis suivent : la Berceuse et le Finale de L’Oiseau de Feu de Stravinski, (dans la géniale transcription de Guido Agosti), dont Kantorow magnifie les timbres, et la Méditation de Tchaïkovski, d’une richesse insoupçonnée sous des doigts aussi inspirés.

Après cette soirée à marquer d’une pierre blanche, le 40ème Festival se prolonge jusqu’au 30 septembre et réserve une place de choix aux interprètes la nouvelle génération. Une curiosité envers l'avenir que le soutien fidèle de la Fondation BNP Paribas au festival depuis ses débuts et celui plus récent du Palazzetto Bru Zane, dans le domaine de la musique française, contribuent à entretenir.
40 ans ? Non, deux fois 20 ans plutôt !

Alain Cochard

Toulouse, Cloître des Jacobins, 6 septembre 2019 / Disponible à la réécoute sur France Musique : www.francemusique.fr/emissions/le-concert-du-soir/le-concert-de-20h-du-vendredi-06-septembre-2019-75438
40ème Festival Piano aux Jacobins, jusqu’au 30 septembre : www.pianojacobins.com/
 
Photo © Piano aux Jacobins

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