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Académie Orsay-Royaumont – La mélodie et le lied au cœur du projet vocal de la Fondation Royaumont

 Hahn, Chausson, Wolf, Schubert, Poulenc, Ravel : un magnifique bouquet au cœur de l’hiver. Intelligemment composée, l’anthologie de mélodies et lieder interprétés par les jeunes lauréats de l’Académie Orsay-Royaumont qui paraît chez B Records sous l’intitulé « Carte postale » est l’une des belles surprises discographiques de ce début d’année. Les quatre duos de la deuxième promotion (1) de l’Académie – Elena Harsányi et Toni Ming Geiger, Victoire Bunel et Gaspard Dehaene, Michael Rakotoarivony et Teodora Oprisor, Fabian Langguth et Camille Lemonnier – livrent là les fruits d’un travail mené sous la conduite des meilleurs spécialistes d’un genre particulièrement à sa place à la Fondation Royaumont.

 
 
Le nouveau projet vocal de la Fondation

François Naulot (photo), qui y a pris en 2017 la direction artistique du programme Voix et Unité scénique, transformé l’an dernier en pôle Voix et Répertoire, souligne la place qu’occupe « le répertoire vocal à Royaumont ; un programme historique créé par Francis Maréchal (nommé directeur culturel de la Fondation en 1977, il en est le directeur général depuis 1985 ndlr). Ce qui se nommait à l’époque Centre de la Voix a reçu des chanteurs tels que Hans Hotter ou Irmgard Seefried, mais aussi des pionniers de la musique baroque, Philippe Herreweghe, Jean-Claude Malgoire, Gérard Lesne, sans oublier Marcel Pérès pour le répertoire médiéval. »
Comme ses prédécesseurs à Royaumont, F. Naulot a fait évoluer le projet vocal de Royaumont. « En arrivant en 2017, se souvient-il, j’ai pris le temps d’échanger avec les acteurs du secteur, jeune chanteurs, artistes lyriques confirmés autrefois formés à Royaumont, agents artistiques, directeurs d’opéra, pour essayer de définir au mieux le nouveau projet vocal de la Fondation lancé en 2020. Le hasard a voulu que cela tombe en plein dans une crise sanitaire qui a beaucoup impacté les jeunes artistes : on ne pouvait apporter de meilleure réponse à celle-ci qu’avec toute l’offre de formation et d’insertion professionnelle que nous proposons. »
 
Complémentarité avec l’enseignement supérieur

Dans la pratique, le pôle Voix et Répertoire de Royaumont offre « un parcours professionnalisant pour 120 stagiaires des métiers du chant sur à peu près seize semaines de formation par an. Nous leur donnons la possibilité de suivre des sessions thématiques qui leur permettent de bâtir leur propre parcours professionnalisant ; formations ouvertes à des spécialistes ou à des non spécialistes (polyphonie baroque, opéra baroque, opéra, mélodie et lied). Ils trouvent là un vrai complément de leur formation dans des établissements d’enseignement supérieur. »

Répondre à l’exigence des metteurs en scène

« L’enjeu de la mise en scène est très important pour ces jeunes chanteurs. Lorsqu’ils sortent du conservatoire, ils souffrent d’un manque en ce domaine et sont en décalage par rapport aux attentes des metteurs en scènes pour des productions de plus en plus exigeantes – avec l’apport du numérique, des chorégraphes, la présence des circassiens, etc., constate F. Naulot. Nous proposons trois semaines de formation scénique chaque année – avec des metteurs en scène de renommée internationale tels que Claus Guth, Mariame Clément, Patrice Caurier et Moshe Leiser – afin d’apporter à ces jeunes artistes des outils concrets pour leurs productions professionnelles à venir. »
« Le croisement des disciplines est une autre spécificité du pôle Voix et Répertoire : la formation à la polyphonie baroque menée par Sébastien Daucé a par exemple été l’occasion d’un grand débat philosophique sur l’interprétation, quant à la musique médiévale elle a été croisée avec un parcours sur le patrimoine architectural médiéval en Île-de-France afin d’enrichir l’horizon interprétatif des artistes. »
 

Cours avec Véronique Gens durant la 1ère Académie Orsay-Royaumont © DR

 
Une vraie complémentarité

Lancée en 2019, l’Académie Orsay-Royaumont est le résultat d’un projet imaginé par Royaumont en concertation avec Laurence des Cars, directrice du musée d’Orsay, Luc Bouniol-Laffont, directeur de la programmation de son auditorium, et les équipes du musée. « En plus de collections uniques au monde, le musée d’Orsay dispose d’une salle qui constitue un merveilleux écrin pour la mélodie. Une vraie complémentarité s’établit entre Royaumont où la tradition d’enseignement de la mélodie est solidement installée et le musée, note F. Naulot. »
 Restait à organiser le fonctionnement de l’Académie. « Nous avons imaginé des auditions internationales afin de recruter des duos en tant que tels. Chaque promotion comprend quatre duos, avec quatre sessions par an, encadrées par des duos de maîtres tels que Véronique Gens (2) et Susan Manoff, Stéphane Degout et Alain Planès, ou Stéphanie d’Oustrac et Pascal Jourdan prochainement, mais aussi des duos étrangers comme Christoph Prégardien et Julius Drake, Felicity Lott et Graham Johnson. Des moments qui donnent lieu à des échanges d’une grande richesse entre ces artistes célèbres et les jeunes pensionnaires de l’Académie. » 
Le croisement des disciplines est de mise ici aussi : « à plusieurs reprises durant l’année les jeunes duos bénéficient de séances d’initiation à l’histoire de l’art au musée d’Orsay avec pour objectifs d’établir des liens thématiques entre les mélodies et lieder qu’ils travaillent et les collections du musée. Il en résulte des « promenades musicales » organisées dans le musée qui invitent des visiteurs qui ne s’attendaient absolument pas à cela à écouter de la musique. » 
 

Les lauréats de l'Académie Orsay-Royaumont (2ème promotion) & Stéphane Degout © Académie Orsay-Royaumont
 
Les trésors de la Bibliothèque musicale François-Lang

Des richesses, la Bibliothèque musicale François Lang de Royaumont (3) en conserve beaucoup aussi avec, s’agissant de la mélodie, des manuscrits de Debussy ou celui de la Bonne Chanson de Fauré. « De façon générale, nous essayons d’articuler un maximum de projets du Pôle Voix et Répertoire avec ces documents, précise F. Naulot. On se souvient que le fonds Rameau, d’une richesse exceptionnelle, a inspiré Raphaël Pichon et Pygmalion lors de leur résidence à Royaumont (2013-2016). L’an dernier nous avons préparé l’année Saint-Saëns, en partenariat avec l’IReMus (4) et ProQuartet, avec des cours de mélodie et de quatuor (cours pendant la journée et travail sur les partitions de Saint-Saëns en soirée) : une semaine passionnante ! »
 
Une version « légère » de Pelléas

« Le document peut-être le plus précieux de la Bibliothèque François-Lang est la partition d'orchestre de Pelléas et Mélisande annotée par Debussy, d’où est né le prochain projet scénique de Royaumont, qui, selon F. Naulot, est une manière de répondre à la crise et de venir en aide aux jeune chanteurs. Nous avons imaginé avec Moshe Leiser et Patrice Caurier – qui ont signé il y a vingt ans un Pelléas très remarqué à Genève – une production « légère » (avec accompagnement de piano) de l’ouvrage, avec Jean-Paul Pruna à l’encadrement musical et de jeunes chanteurs. Cette production tournera dans des théâtres où l’art lyrique n’est pas toujours présent et constitue un projet ambitieux pour la Fondation Royaumont qui en sera le producteur délégué. »
 
L’accompagnement des lauréats

A la fois proche de Paris et à l’écart dans le Val d’Oise, Royaumont est décrit par F. Naulot comme « un îlot enchanté où l’on vient s’isoler, travailler dans des conditions d’accueil assez exceptionnelles. On en ressort souvent transformé par la force du lieu et l’intensité des sessions de travail.» La diffusion du travail des artistes constitue une préoccupation essentielle pour la Fondation et, insiste le directeur artistique, « comme tous les musiciens, chanteurs ou instrumentistes, qui sont venus suivre une formation à Royaumont, les duos de l’Académie Orsay-Royaumont ont un statut de lauréat et bénéficie d’un accompagnement avec des engagements au Festival de Royaumont ou hors les murs grâce aux auditions-tremplins qui ont été mises en place en collaboration avec différents ensembles ou structures – avec l’Orchestre de Picardie ou l’Opéra de Lille par exemple » .
S’agissant des lauréats de l’Académie : on compte une quinzaine de dates au musée d’Orsay sous la forme de récitals « lunchtime », à l’Opéra de Lille, partenaire dont F. Naulot salue la fidélité, mais aussi au Wigmore Hall de Londres (sous la forme d’une résidence annuelle de trois jours mêlant masterclasses et concerts – une formidable opportunité pour les jeunes artistes ! –, à l’Oxford Lieder Festival, à la salle Bourgie à Montréal, etc.
 
Malgré la situation sanitaire, l’Académie Orsay-Royaumont continue de fonctionner et F. Naulot vient de finaliser la sélection de la quatrième promotion. Espérons que l’évolution de la crise en cours permettra de découvrir rapidement ces jeunes interprètes en public. Pour l’heure, le disque nous console avec la belle « Carte postale » adressée par les lauréats de la deuxième promotion.
 
Alain Cochard
(Entretien avec François Naulot réalisé le 14 janvier 2021)
 

(1) « Carte postale » (œuvres de Hahn, Chausson, Wolf, Schubert, Poulenc & Ravel), 1 CD B Records LBM 030. Ce disque fait suite au « Promenoir des amants », le disque de la première promotion de l’Académie (Marie-Laure Garnier/Célia Oneto-Bensaid, Marielou Jacquard/Kunal Lahiry, Jean-Christophe Lanièce/Romain Louveau, Alex Rosen/Michal Biel ) qui rassemble des pages de Loewe, Ravel, Schumann, Debussy, Zemlinsky, Caplet et Schubert (Be Records LBM 021)

(2) Véronique Gens et la mélodie française : www.concertclassic.com/article/veronique-gens-et-la-melodie-francaise-lacademie-orsay-royaumont-il-faut-etre-simple-et

(3) www.royaumont.com/fr/bibliotheque-musicale-francois-lang
Rappelons que la Fondation Royaumont assure depuis 2016 la direction de la Médiathèque musicale Gustav Mahler créant de fait une synergie entre les deux entités, très profitable aux chercheurs comme aux interprètes : www.mediathequemahler.org/

(4) www.iremus.cnrs.fr/fr/le-laboratoire/presentation
 
Photo © Fondation Royaumont

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