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29ème Festival de Lanvellec et du Trégor – Musique, patrimoine, histoire et transmission

1642 : alors que le royaume d’Angleterre était en proie à la guerre civile et que les puritains interdisaient l’usage de l’orgue dans les églises – sous peine d’emprisonnement ou de mort -, Robert Dallam, catholique et facteur d’orgue, se réfugia avec sa famille en Bretagne, à Morlaix. Parmi les orgues qu’il a signés tout au long de son existence, un seul au monde demeure, celui conçu pour l’église de Plestin-les-Grèves en 1653. Vendu à la paroisse de Lanvellec en 1857, cet exemplaire unique de l’art de Dallam fut classé Monument Historique en 1971, mais dut attendre 1984 pour qu’une décision soit prise quant à sa restauration. Le facteur italien Barthélémy Formentelli se mit à l’oeuvre en 1985. Le travail alla bon train : en novembre 1986 Gustav Leonhardt inaugurait l’instrument restauré de l’église Saint Brandan.

L'orgue Robert Dallam de l'église Saint Brandan de Lanvellec © DR

« Le devenir de l’instrument restait alors en suspens », se souvient Geneviève Le Louarn, actuelle directrice du Festival de Lanvellec qui, à l’époque, était en poste à Rennes en tant que conservatrice régionale des Monuments historiques. « Il fallait faire chanter cet orgue » et, en pleine période d’effervescence baroqueuse, concevoir un projet autour de lui. La première édition du Festival de Lanvellec se tient en 1987. De cette date à 2006, G. Le Louarn n’occupera qu’une vice-présidence d’honneur. Elle est en quelque sorte la marraine d’une manifestation née, se souvient-elle, «avec la bénédiction de Maurice Fleuret », qui travaillait à l’époque avec Vincent Berthier de Lioncourt et Philippe Beaussant à la mise en route (en 1987) du Centre de Musique Baroque de Versailles.
 

Geneviève Le Louarn © DR
 
Conduit pendant plusieurs années par Robin Troman, puis par Dominique Daigremont, le Festival de Lanvellec se retrouve sans directeur au mitan des années 2000. G. Le Louarn en prend les rênes en 2006-2007 et s’y consacre depuis, «passionnée par une aventure consistant à allier musique, histoire et patrimoine, à ne pas réduire la musique à un simple plaisir de l’oreille, mais à la replacer dans l’histoire. Je reste persuadée, insiste-t-elle, que lorsque l’on connaît bien les choses on les aime mieux. Bien connaître les conditions de la création musicale ajoute au plaisir de l’écoute.» Pour l’ancienne conservatrice régionale des Monuments historiques, «se plonger dans l’histoire et l’interpréter par le musique plutôt que par l’architecture, constitue un expérience très enrichissante ». Et d’autant plus gratifiante que le public est au rendez-vous.
 
Alors qu’elle prenait la direction du festival, G. Le Louarn se souvient d’avoir été taxée d’«élitiste» par un élu dont elle préfère taire le nom. Piquée au vif, elle n’en a été que plus motivée, tout comme la quarantaine de bénévoles qui l’entourent, pour « faire découvrir au public que le monde baroque a fabriqué des musiciens extraordinaires et lui faire entendre une musique humaine, pas réservée à des spécialistes. »  Depuis 2007 (première édition entièrement de sa main), elle n’a pas hésité à placer la barre très haut. Ainsi l’an passé avec une thématique « L’Harmonie de sphères » ; une édition « très conceptuelle et très intellectuelle, reconnaît-elle, mais qui a remporté un succès considérable. »

Dagmar Saskova © DR

Moins pointue, plus souple que celle de certaines des éditions précédentes, la thématique du 29ème Festival n’en est pas moins infiniment séduisante et d’une qualité indiscutable. « L’invitée des Princes » : le cru 2015 fait figure de prélude festif au cap symbolique que franchira Lanvellec l’an prochain avec son 30ème Festival.
Si certains concerts, tel celui, vivaldien, de Giuliano Carmignola, Amandine Beyer et Gli Incogniti (11/10) et celui de l’ensemble Les Surprises de Louis-Noël Bestion(16/10), s’inscrivent dans le cadre d’une tournée, de même que le récital du haute-contre Iestyn Davies(10/10), plusieurs autres relèvent, comme on en a l’habitude à Lanvellec, de projets spécifiquement conçus pour la manifestation.
Ainsi en va-t-il de la soirée inaugurale « Douces Félicités » que Dagmar Saskova (sop.) et l’Ensemble Il Festino de Manuel de Grange ont concoctée à partir d’airs de cour de Michel Lambert et Sébastien Le Camus (9/10), du récital « Un voyage en Europe » de Yasuko et Michel Bouvard (17/10), sur l’orgue de Dallam, des « Lamentations à la cour de Dresde » (18/10), programme tout Zelenka imaginé par Damien Guillon et son Banquet Céleste, ou des « Mystérieux voyages de Froberger » par l’Ensemble Les Cyclopes (23/10).
On ne sera pas moins curieux de La Prophétie de Saint François de Paule - oratorio de Giacomo Antonio Perti comptant parmi ses personnages une certaine… Anne de Bretagne – que le Concerto Soave de Jean-Marc Aymes recrée à partir d’une restitution de Francesco Lora (24/10) ou, enfin de « L’Incoronazione del Doge » par la Fenice de Jean Tubéry en clôture du 29ème Festival (25/10).
 
Dès 2007, le festival avait fait appel à Jean Tubéry. Le courant est passé et le chef de La Fenice a tissé des liens privilégiés avec Lanvellec. En tant qu’interprète, mais aussi comme professeur au CRR de Paris. Ces fonctions l’ont en effet conduit à proposer à G. Le Louarn de programmer des étudiants dans le cadre du découvreur « Printemps de Lanvellec » qui se déroule chaque dernier week-end d’avril. Outre le CRR, Lanvellec a mis en place un partenariat avec le Pôle Supérieur Paris Boulogne-Billancourt (que dirige Xavier Delette, par ailleurs directeur du CRR), ce qui permet au festival de s’inscrire dans le projet professionnalisant de jeunes musiciens. On n’oublie pas non plus les relations privilégiées du festival breton avec le Conservatoire National Supérieur de Lyon, avec François Espinasse en particulier, dont les conseils avaient conduit G. Le Louarn a inscrire à l'affiche du Printemps 2011 un certain Louis-Noël Bestion. Depuis…
 
Enfin, jeunesse et musique baroque font bon ménage pendant l’été aussi à Lanvellec puisque la manifestation est à l’origine d’une Académie de musique axée sur la basse continue et le chant. 30 à 35 stagiaires y reçoivent les conseils de Frédérick Haas, Mira Glodeanu, Martin Bauer et, pour le chant et la gestuelle baroque – obligatoire pour tous les stagiaires – de Béatrice Cramois.
Si Mr Dallam avait pu imaginer tout cela …
 
Alain Cochard
(Entretien avec Geneviève Le Louarn réalisé le 15 septembre 2015)

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29ème Festival de Lanvellec et du Trégor
Du 9 au 25 octobre 2015
www.festival-lanvellec.fr
 
Photo © DR

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