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18ème Festival de Pâques de Deauville - Le goût et les moyens du risque - Compte rendu

S’offrir le Quatuor Ebène, lequel, malgré la jeunesse des participants, annonce déjà quinze années d’existence, voilà une carte de visite de grand luxe, surtout avec Mozart seul au programme. Y ajouter le lendemain un programme composé de raretés parfois étranges, trouvées dans les soutes des plus grands compositeurs, voilà qui frise la pure aventure. Yves Petit de Voize l’a depuis toujours, ce goût des bijoux précieux, des petits trésors méconnus, qui pimente ce Festival qu’il couve en gentleman farmer regardant ses poulains s’élancer. 
Le deuxième week-end de cette 18e édition a brillamment montré qu’ici la musique se pratiquait avec éclectisme, élégance et un insatiable souci de ne jamais se reposer sur les seuls chefs d’œuvres. Exciter l’attention, réveiller les papilles auditives, et de ce fait amener de jeunes musiciens à l’orée de leur carrière et donc de leur répertoire à l’étayer de pièces totalement étrangères au répertoire traditionnel des tournées, voilà qui mérite la plus vive reconnaissance et crée des instants de pures affinités électives.
 

photo © Claude Doaré
 
Ainsi de ce  plus que bizarre Andante et Variations opus 46 de Schumann, composé en 1843 : il accole deux pianos, y mêle deux violoncelles, puis, ô surprise, ajoute… un cor. Le mélange, hétéroclite, est d’une surprenante fraîcheur et permet surtout, plus qu’il ne laisse des mélodies ou des phrases s’incruster dans la mémoire, de créer d’étonnants et savoureux contrastes: dans ce ring, deux jeunes et brillants pianistes, Ismaël Margain  et Guillaume Bellom, épaulés des sonorités dorées des violoncelles de Yan Levionnois, nouveau petit prodige et Raphaël Merlin, rayonnant quatrième homme des Ébène, et au centre, chasseur perdu dans une forêt, le cor, claquant comme incongru, ou se faisant meneur, de Julien Desplanque. Schumann n’entendit qu’une fois  sa pièce et en fut déçu : il est certain qu’elle dérange l’auditeur, mais met les interprètes en joie. Contraste saisissant avec la rare et difficile Sonate pour deux pianos de Poulenc, tellement plus osée dans ses sonorités âpres à la Stravinski, ses chocs rythmiques et son caractère planant ou brutal que tant de ses pièces à la séduction plus accrocheuse. Elle oblige à une grande tension pour les deux interprètes face à face, encore Margain et Bellom, totalement imbriqués.
 
On est aussi peu habitué à entendre pour deux pianos les célèbres Variations sur le thème de Haydn de Brahms, qui fut pourtant la version initiale (1873) de l’œuvre. Là aussi, il est piquant d’entendre le premier jet de ce populaire chef d’œuvre, qui y trouve une vivacité dont l’orchestre habituellement noie un peu la force de frappe avec ses chatoyantes couleurs. Jonas Vitaud, grand brahmsien, un peu dans la lignée d’un Angelich, et Guillaume Vincent l’ont enlevé avec un brio ébouriffant, avant se laisser glisser dans le plus difficile peut-être, la Rhapsodie espagnole de Ravel, là aussi version originale de la fameuse pièce orchestrale. Tout en lenteur, en broderies, en irisations, un art de l’estompe, particulièrement complexe quand il faut donner l’illusion de la liberté alors qu’on n’est pas seul en piste.
 
La veille donc, une soirée Mozart parfaite, idéalement graduée et interprétée par les Ebène (souffrant, l’altiste Mathieu Herzog était remplacé, soit par Adrien Boisseau soit par Adrien La Marca – Deauville est aussi une excellente école de l’imprévu !) : un peu vive dans les envois du Divertimento  KV 138, plus discrète pour accompagner David Kadouch - parfait dans sa retenue et son dosage - dans le 13ème Concerto pour piano et cordes  KV 415, la sonorité de Pierre Colombet (1erviolon) s’est faite de velours pour trouver la substance du sublime Quintette en sol mineur KV 516. Multiples facettes donc d’un Mozart brillant, léger ou bouleversant, servies par le talent à transformations des quatre musiciens du Quatuor, qui s’étaient adjoints l’alto d’Adrien La Marca pour le KV 516, irrésistible : leur intelligence de la courbe autant que de la nécessité rythmique d’un discours à répétitions donnait une intensité poignante  à chacune des phrases du Quintette, joué avec une sorte d’élasticité qui éclairait son propos.
 
Jacqueline Thuilleux
 
Deauville, Salle Elie de Brignac, 26 et 27 avril 2014. Prochains concerts, les 1, 2 et 3 mai 2014 www.musiqueadeauville.com

Photo © Claude Doaré

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