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18e Festival Musica Nigella / Côte d’Opale (CD & Concert 28/05) – Caplet le conteur

 
Le Festival Musica Nigella et Takénori Némoto, son directeur musical, ont de la suite dans les idées et, mieux encore, d’excellentes idées ! Depuis quelques années maintenant chaque édition de cette manifestation itinérante installée sur la Côte d’Opale s’accompagne de la sortie d’un enregistrement de l’Ensemble Musica Nigella, bâti avec originalité et cohérence autour d’une figure de la musique française.
 
Après Ravel, Chausson, Poulenc et Fauré, on aborde cette fois un musicien plus méconnu : André Caplet (1878-1925). De celui qui avait obtenu le grand Prix de Rome en 1901, la carrière prit vite son essor, celle du compositeur autant que du chef d’orchestre (remarquable baguette que celle de Caplet : après avoir assisté Edouard Colonne à Paris, il devint chef et directeur de la musique à l’Opéra de Boston de 1910 à 1914). La guerre vint hélas briser ce bel envol ... Le musicien normand approchait des 36 ans au moment de l’éclatement du conflit. Engagé volontaire (1), il sortit certes vivant de l’épreuve, mais les effets des gaz affectèrent profondément sa santé – il dut abandonner la direction d’orchestre et ralentir de manière générale son activité  – et conduisirent à sa fin prématurée le 22 avril 1925.
 
Takénori Némoto © M. Mosconi

De l’exotisme au fantastique
 
De Caplet, on ne retient parfois que l’amitié avec Claude Debussy qui, on s’en souvient, le chargea d’orchestrer une bonne partie du Martyre de Saint-Sébastien (1910-1911) et dont il transcrivit pour piano(s) certaines partitions d’orchestre (dont La Mer).(2) Quant au compositeur, l’un des mérites de l’enregistrement de l’Ensemble Musica Nigella est d’offrir un bel aperçu de sa production de 1900 à 1923. « Caplet le conteur » (3) : intitulé on ne peut mieux choisi pour traduire l’esprit d’une anthologie où, de bout en bout, la musique parle à l’imagination.
Entrée en matière instrumentale : l’exotique Suite persane (1900) pour dixtuor à vent fait figure d’invitation au voyage, servie par le sens des timbres de l’auteur – et le profond raffinement que lui apportent Takénori Némoto et ses souffleurs ! Les vents jouent un rôle clef aussi dans La chanson la plus charmante (1900) pour voix et ensemble, sur des vers de Hugo, dont le baryton Laurent Deleuil signe une version toute de sensuelle plénitude.
 

André Caplet © DR
 
Une commande d’Elise Hall
 
A l’instar de Debussy, d’Indy ou Schmitt, Caplet fait partie des musiciens français sollicités par Elise Hall, riche saxophoniste amateure américaine, afin d’écrire pour un instrument dont la pratique lui avait été recommandée par son médecin pour soigner ... ses problèmes auditifs ! Situation pour le moins cocasse qui, c’est le plus important, nous a valu un élargissement du répertoire du saxophone avec, de la part de Caplet, une Légende (1903-1905) dont diverses moutures existent. Takénori Némoto a retenu celle de « poème symphonique pour ensemble avec saxophone ». Quelle belle découverte : un pur enchantement sonore, tantôt rêveur tantôt enlevé, toujours narratif, servi par Emilie Heurtevent et une équipe occupée à lui tisser le plus bel écrin.
 
Foi et esprit français
 
Profondément croyant, Caplet se présente aussi sous ce visage avec les trois Prières pour voix, harpe et quatuor à cordes, pages d’autant plus émouvantes et significatives qu’elle furent écrites sur le front entre 1914 et 1917. La soprano Cécile Achille en traduit la substance avec une sobre et prégnante intensité.
Dans une esprit plus léger on retrouve Laurent Deleuil pour les trois Fables de la Fontaine (Le Corbeau et le Renard, La Cigale et la Fourmi, Le Loup et l’Agneau), que l’on entend parfois dans leur mouture chant/piano mais dont on trouve ici une version avec ensemble. Caplet n’a orchestré que la première pièce en totalité, et partiellement la deuxième. Avec l’art qu’on lui connaît, Takénori Némoto s’est autorisé – bien lui en a pris ! – à compléter cette dernière et à orchestrer le n° 3 : un vrai délice d’intelligence et de sensibilité, absolument fidèle à l’esprit, français ô combien !, d’une musique composée dans le bonheur de la période qui suivit la démobilisation de Caplet au début de 1919 (suivie du mariage de l'artiste en juin).
 
Le Conte fantastique pour harpe et quatuor d’après Le Masque de la Mort rouge d’Edgar Poe, conclut l’enregistrement ainsi qu’il s’ouvrait, de façon purement instrumentale. Avec Iris Torossian à la harpe, ce chef-d’œuvre de 1923 possède tout le relief et la force évocatrice requis.
Vrai petit bijou que ce disque ! Courrez retrouver son programme en concert le 28 mai à 16h (4), dans le cadre parfait du théâtre élisabéthain du Château d’Hardelot, en clôture d’un Festival Musica Nigella 2023. Lancé le 18 mai, il est comme toujours riche d’alléchantes propositions (autour du thème de la Route de la Soie cette fois).
 
Enfin, s’agissant d’André Caplet, espérons que le centenaire de 2025 permettra de mettre – enfin ! – ce compositeur en lumière autant qu’il le mérite. L’Ensemble Musica Nigella a en tout cas déjà posé un beau jalon dans cette voie.
 
Alain Cochard
 

(1) Choix d’autant plus admirable que Caplet, dispensé de service militaire, aurait s’abstenir de se porter volontaire
 
(2) Caplet a aussi orchestré certaines pages pour piano de Debussy, le Children’s Corner entre autres, en 1910.
 
(3) « Caplet le conteur » / 1 CD Klarthe Records KLA 166, dist. Harmonia Mundi

 

(4) www.musica-nigella.fr/le-festival/programmation-2023/concert-13-concert-de-cloture-dimanche-28-mai-2023/
 
18e Festival Musica Nigella
Jusqu’au 28 mai 2023
Programmation détaillée : www.musica-nigella.fr/le-festival/programmation-2023/

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