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17e Festival International de Piano d’Antalya - Une belle et courageuse implantation – Compte-rendu

Le voilà solidement en place, ce festival dévolu essentiellement au piano, et qui vit défiler de prestigieux invités, réclamés par une société turque passionnée de culture élargie. Il eut un directeur charismatique, le phénoménal Fazil Say jusqu’en 2014, il eut des scènes fabuleuses comme le théâtre d’Aspendos, l’un des rares du monde romain à être demeuré à peu près intact, comme ceux d’Orange en France et de Sabratha en Lybie. Musique sous les étoiles de la nuit méditerranéenne, inoubliable.
 
Il est aujourd’hui entre les mains d’un homme de charme et de talent, Gürer Aykal, violoniste à ses débuts, mais qui reçut ensuite l’enseignement de la Royal Academy de Londres puis de l’Académie Chigiana de Sienne pour la direction d’orchestre. S’ensuivit une riche carrière déroulée essentiellement dans son pays mais aussi pendant seize ans aux Etats-Unis. A ce jour, demeuré chef honoraire du fameux Borusan d’Istanbul, qu’il créa en 1999, il dirige l’Orchestre Symphonique d’Antalya et se bat pour la survie de son Festival, malgré une conjoncture plus que difficile, et grâce au soutien de la puissante Turkish Airlines, entre autres sponsors.
 
Le lieu, en vérité, est plus qu’étrange. La douce beauté de son ancrage au cœur de la délicieuse Pamphylie, dont les romains de l’époque antonine, puis sous les Sévère, firent  leur miel, comme d’une côte d’Azur avant les congés payés, ne se perçoit plus que difficilement entre les façades accolées des tours à touristes qui se pressent sur des dizaines de kilomètres étirés au bord de la mer, face à la chaine du Taurus. Exalté par la modernité galopante, le phénomène est devenu tel que 7 millions de touristes y sont venus l’an dernier. Avec cette année, une chute vertigineuse, puisque seuls 500.000 s’y sont montrés jusqu’à ce jour.
 
Mais ici, rien n’obéit à la norme : les règles d’un monde de science fiction ont régi la création d’un  pharaonique complexe, à 40 minutes du centre ville, baptisé Expo 2016 Antalya et inauguré en avril dernier avec une exposition horticole ahurissante. Tout s’y veut gigantesque, des volutes futuristes des voûtes, aux espaces commerciaux, de restauration et d’expositions, et enfin à la salle de concerts, dont les abords et les espaces de réception affichent un luxe digne de la Sublime Porte,  le tout cernant une effarante tour à trois têtes voulue pour évoquer l’arc de triomphe d’Hadrien à l’entrée d’Antalya, et d’où jaillissent la nuit les éclats de grandioses feux d’artifice. Une fascinante folie organisée, un délire de consommation, celui d’un monde dévoré de désirs, une sorte d’Orthanc, pour les adeptes du Seigneur des Anneaux, et que les Turcs baptisent plus simplement leur Tour Eiffel.
 
Dans ce tourbillon, la musique semble garder des proportions raisonnables, et pourtant n’est ce pas elle la plus folle, la plus vraie aussi, par l’émotion non quantifiable qu’elle engendre ? Et quelle distorsion entre les 300 millions de dollars qu’a coûté le projet, et la grâce élégante, la profondeur, la simplicité du jeu d’un Julian Rachlin (photo), invité d’un soir, bien qu’il ne soit pas pianiste ! Une façon sans doute pour Gürer Aykal qui l’admire fort, de rappeler ses premières amours au violon. Rachlin, on n’en prend pas toujours conscience en France, est aussi de ces hommes d’archet qui à force de l’avoir tenu sur les cordes, le tend aujourd’hui face à l’orchestre.
 
Nommé directeur de l’Orchestre de Turku en Finlande, le virtuose lituanien fait preuve d’une belle gestique, enflammée et précise, et témoigne d’un goût sûr dans ses choix. On l’a ressenti avec la Valse triste de Sibelius, glissée comme un voile de douceur, avant qu’il n’attaque le Concerto n°3 de Mozart, avec une rigueur de tempi qui n’altéraient en rien l’éclat de son jeu fluide et aérien. Menu, fin, volontaire, Rachlin est une douce force de la nature musicale et son verbe clair, disant les mots qu’il faut avec conviction, autant que les notes qu’il tire de son Guarnerius del Gesù, sont bien celles de l’Ambassadeur de Bonne Volonté qu’il est avec passion auprès de l’Unicef depuis six ans.
 
Vint ensuite la 5e Symphonie de Tchaïkovski, où l’Orchestre Symphonique d’Antalya fit valoir l’unité de ses cordes, les couleurs de ses bois, avec une formidable énergie. Mais là, hélas, se faisaient sentir les imperfections sonores de la salle, peu faite pour le concert et où les sonorités se brouillent cruellement. Gürer Aykal, habitué aux grandes salles mondiales et à la traditionnelle d’Antalya notamment, parfaitement adaptée, ne cachait pas son agacement devant ce frein à la beauté d’un concert qui eût pu l’être bien plus.
 Les récitals de piano, comme celui du jeune Tolga Atalay, en souffrent moins. Reste l’excitante perspective d’un concert dirigé par le brillant Darrell Ang, consacré à Liszt et Suppé, avec le pianiste turc Gökhan Aybulus et le finale du Festival où le maître de céans, Gürer Aykal conduira le 5e Concerto de Beethoven avec Roberto Cominati et  Roméo et Juliette de Tchaïkovski, outre une œuvre du Suédois Hugo Alfven, Midsommarvaka, composée en 1904, et demeurée la plus célèbre de ce compositeur qui nous demeure étranger, comme tant d’autres grands nordiques. Une surprise de plus de ce Festival levant fort la tête au milieu d’une modernité dont il n’entend pas qu’elle l’écrase.
 
Jacqueline Thuilleux

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Antalya, le 1er octobre 2016 /  Expo 2016, Festival international de Piano, jusqu’au 14 octobre 2016 / www.apf.com.tr
 
Photo © DR

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