Journal

2ème Festival d'orgue d'automne de Notre-Dame d'Auteuil – Une programmation internationale plusieurs fois reconfigurée – Compte-rendu

Par ces temps de pandémie, il faut des ressources, de l'endurance, de la patience, de l'acceptation face à des contraintes qui, par la force des choses, sont difficilement prévisibles, et une volonté à toute épreuve pour mener à bien une programmation. Un an après le « Réveil du grand orgue » Cavaillé-Coll–Gloton-Debierre (1885–1938), superbement restauré en 2015-2018 par l'atelier Denis Lacorre, le premier Festival d'orgue d'automne d'Auteuil avait rencontré un franc succès (1), trouvant aussitôt son public. Impossible de ne pas réitérer l'événement en 2020, avant la suspension que devraient imposer les travaux de restauration intérieure de l'église…
 

L'orgue Cavaillé-Coll–Gloton-Debierre de N.D. Auteuil © Dr
 
Un instrument singulier
Sept concerts étaient prévus, engagements qui ne purent être tous tenus. Olivier Latry était convié en ouverture du Festival, le 1er octobre : Franz Liszt et les Symphonistes français. Programme et prestation tout simplement et à tous égards parfaits, Olivier Latry, qui manifestement aime l'orgue d'Auteuil, ayant fait preuve d'une empathie et d'une compréhension aussi magnifiques que d'une enthousiasmante efficience envers cet instrument singulier : à la fois un pur Cavaillé-Coll et un témoin de l'esthétique de l'entre-deux-guerres. Le juste équilibre pour chaque pièce, d'un « naturel » confondant, pour une restitution appréciée au plus juste afin de servir l'œuvre et l'instrument, d'un équilibre idéal dans son acoustique assez particulière – beaucoup de puissance dans un espace relativement modeste, la richesse de la palette, comme ce fut le cas sous les doigts d'Olivier Latry, devant le plus souvent prendre l'ascendant sur la force.
 

Olivier Latry © Deyan Parouchev 

Seul maître à bord
Majestueux Allegro de la Sixième de Widor, sur un tempo savamment estimé permettant de goûter toutes les beautés de cette page d'apparat (2), délicieux Intermezzo de la trop rare Symphonie op. 5 d'Augustin Barié (1883-1915), chef-d'œuvre d'instrumentation, enfin Prélude et Fugue sur B.A.C.H. de Liszt dans la version syncrétique de Jean Guillou pour refermer la première partie – stupéfiant d'intelligibilité et de grandeur (Olivier Latry étant pour tout ce programme seul maître à bord, jouant par cœur et sans registrants) : l'aura du grand piano romantique servi par les moyens si différents mais prodigieusement efficaces de la machine orgue. La seconde partie était consacrée à Louis Vierne, en clôture de l'année du 150e anniversaire de sa naissance, les six mouvements de sa Première Symphonie op. 14 offrant un magistral survol des possibilités et de l'esprit de l'orgue symphonique français, jusqu'à un Final sur tempo aussi maîtrisé – c'est-à-dire jamais excessif, comme si souvent dans ce répertoire potentiellement démonstratif – que l'Allegro de Widor en début de soirée.
 
À noter que l'un des maîtres d'Olivier Latry, auquel il succéda à la classe d'orgue de Saint-Maur-des-Fossés – devenue de longue date celle d'Éric Lebrun – sera bientôt à l'honneur chez Warner Classics, qui a la bonne idée de reprendre (sortie prévue le 19 février) les gravures Vierne réalisées par Gaston Litaize pour La Voix de son Maître entre 1970 et 1978 à son orgue de Saint-François-Xavier : intégrales des Pièces en style libre (enregistrements a priori restés inédits) et des Pièces de fantaisie, Sixième Symphonie et Stèle pour un enfant défunt.
 
Le deuxième récital, le 7 octobre, devait permettre d'entendre un programme intitulé La vieille Europe et l'Amérique, par Edward J. Tipton, ancien maître de chapelle et organiste de la cathédrale américaine de Paris, actuellement en poste à New Canaan près de New York, lequel, bien sûr, ne put venir des États-Unis. Le Chœur de la cathédrale américaine de Paris prit le relai, sous la direction de Zachary Ullery, avec Andrew Dewar à l'orgue : de Vaughan Williams, Gustav Holst, Charles Villers Stanford, Edward Cuthbert Bairstow, Herbert Howells ou Stella Edward Grieg à Guy Weitz.

© Ev.-luth. Kirchengemeinde St. Severin

Alexander Ivanov ©  Ev.-luth. Kirchengemeinde St. Severin 
 
Force, gravité et sobriété
Le troisième récital eut lieu comme prévu le 13 octobre, riche programme proposé par Alexander Ivanov, natif de Saint-Pétersbourg mais depuis 2005 Kantor et organiste de St. Severin de Keitum, sur l'île allemande de Sylt en Mer du Nord, où il organise, autour d'un grand orgue Mühleisen de 1999, une importante saison de récitals. Son programme s'ouvrait sur les deux premiers et se refermait sur les deux derniers mouvements de la Symphonie « Romane » de Widor (créée par le compositeur en 1900 sur le grand orgue Sauer de la Kaiser-Wilhelm-Gedächtniskirche de Berlin, aujourd'hui conservée à l'état de ruine – le Sauer a disparu dans les bombardements – au côté de l'église moderne dotée d'un superbe Schuke). Entre ces deux moments symphoniques se succédèrent Bach : Choral Schübler BWV 649, Toccata dorienne d'une extrême et impressionnante véhémence et Fugue d'un hiératisme appuyé, la Vocalise de Rachmaninov, élégamment adaptée à l'orgue par l'interprète, de nouveau Bach et l'air pastoral Schafe können sicher weiden de la Cantate BWV 208 (« de la chasse »), également transcrit par Alexander Ivanov, puis sans transition la noire, très noire, Passacaille de l'opéra de Chostakovitch Lady Macbeth du district de Mzensk, d'un impact toujours saisissant – avant de retrouver l'aplomb presque lumineusement serein de la Romane de Widor. Force et gravité tout au long d'un programme d'une vive musicalité, toute de sobriété, servi par des moyens musicaux et instrumentaux de première grandeur. Le quatrième rendez-vous, le 20 octobre, permit d'entendre un récital d'improvisations de Wolfgang Seifen, l'un des maîtres allemands actuels dans cette discipline si prisée des organistes : dans les styles baroque, romantique et symphonique.
 

Pascal Vigneron © DR
 
Les Goldberg à l’orgue
Les risques de quarantaine puis le confinement eurent raison des deux concerts suivants. La programmation éclectique et internationale d'Auteuil aurait dû permettre d'entendre deux grands noms européens : Peter Kofler le 28 octobre, organiste de l'église jésuite St. Michael de Munich (des membres de la famille Wittelsbach, dont Louis II de Bavière, y sont enterrés) où il enregistre actuellement une intégrale Bach : le programme prévu s'intitulait Bach et ses admirateurs (Mendelssohn, Widor, Saint-Saëns, Liszt) ; Peter Van de Velde le 4 novembre, organiste de la cathédrale d'Anvers, pour un programme consacré aux Symphonistes belges, dont Paul de Maleingreau, auquel il a consacré un CD Aeolus, mais aussi Guy Weitz, Joseph Jongen et… César Franck, père de l'école française romantique-symphonique mais bel et bien né Belge. Ces deux concerts, espérons-le, ne sont que partie remise. Celui du 28 octobre fut néanmoins sauvé par Pascal Vigneron, lequel accepta de relever le défi, préparé in situ en très peu de temps : les Variations Goldberg de Bach dans la propre adaptation à l'orgue de l'interprète. Si l'on peut ne pas partager certains choix, la cohérence de l'ensemble n'en demeure pas moins puissante, conforme à ce que le musicien propose tant en concert qu'au disque (3). Les tempos relativement rapides (bien que les registrations amples et très sonores infléchissent sensiblement celui des variations concernées) ne favorisent pas la liberté du chant, qui en devient parfois contraint au détriment de la poésie, mais la palette de l'orgue d'Auteuil fut grandement mise à profit, de la plus extrême lisibilité à certain mélanges dynamiquement excessifs et d'autant moins intelligibles – rien à faire, on ne partage pas l'idée de jouer les Var. XXIX et XXX (Quodlibet) sur le tutti. L'œuvre dans sa continuité n'en prit pas moins, ce soir-là et dans ce contexte, la forme d'une solide performance.
 
Quant au concert de clôture, plusieurs fois déplacé et initialement prévu avec cuivres, il devait finalement avoir lieu le jeudi 17 décembre à 19 heures, couvre-feu oblige, Frédéric Blanc, titulaire d'Auteuil depuis vingt ans mais aussi directeur artistique et programmateur du Festival, proposant un programme festif : Lasceux, Bach, Haendel, Berlioz, Daquin, Lefébure-Wely, Grunenwald et Duruflé. Les décisions gouvernementales (bien que certains concerts soient, pour le moment, maintenus dans d'autres églises, ainsi les 20 et 25 décembre à Saint-Augustin) en ont décidé autrement : ce concert est reporté au 29 janvier 2021. La situation sanitaire du début d'année devrait-elle conduire à le reporter une fois encore, peu importe, ce concert aura lieu, quoi qu'il arrive…
 
Un instrument déjà bien servi par le disque
 Œuvre d'Émile Vaudremer (1820-1914) – auquel on doit à Paris aussi bien Saint-Pierre-de-Montrouge que Saint-Antoine-des-Quinze-Vingts, la cathédrale grecque orthodoxe de la rue Georges Bizet… que la prison de la Santé –, l'église Notre-Dame d'Auteuil devrait faire ensuite l'objet d'une grande rénovation intérieure : les enduits blanc et or, noircis au fil du temps, retrouveront alors leur splendeur originelle, comme c'est déjà le cas de l'abside, précédemment restaurée, et de sa grande mosaïque du Christ pantocrator. Un retard est d'ores et déjà annoncé, que les conditions sanitaires risquent d'aggraver. Une année de travaux est prévue, ce qui peut sembler optimiste. L'orgue bâché pourrait continuer de servir dans un premier temps, avant d'être sans doute coffré. Restaurer l'édifice avant l'orgue eût été l'idéal, mais les calendriers de ce genre de travaux ne relèvent pas des mêmes autorités… Toujours est-il que l'année 2021, si les travaux débutent comme prévu, devrait être privée de festival, peut-être aussi la suivante. En espérant que la poussière et les aléas inhérents à un chantier d'une telle envergure ne nécessiteront pas de travaux majeurs sur l'orgue si récemment restauré.
 
On pourra entre-temps apprécier l'instrument sur un nombre d'ores et déjà important de CD, avant et après restauration. Par exemple les Tournemire gravés au tournant du siècle par Tjeerd Van Der Ploeg (4 CD reparus cet automne chez Brilliant Classics), le poétique Déodat de Séverac de Michelle Leclerc (Aeolus), le Duruflé de Henry Fairs (Naxos), les Vierne et Widor de Bruno Morin (Triton), l'album André Fleury et les improvisations de Frédéric Blanc (Aeolus) – soit une bonne vingtaine de disques, jusqu'à l'album monographique intitulé Le grand rythme de la vie que Thomas Monnet a consacré en 2019 à Jehan Alain (Hortus). D'autres enregistrements du titulaire sont en projet – Transcriptions classiques, romantiques et modernes ; un programme Duruflé, Grunenwald, Fleury, Langlais, Messiaen, Boulnois (1907-2008, titulaire pendant plus d'un demi-siècle de Saint-Philippe-du-Roule), Marie-Louise Girod, Tournemire ; Autour de l’impressionnisme à l’orgue ; Liszt et Paris
 
Michel Roubinet

2ème  Festival d'orgue d'automne de Notre-Dame d'Auteuil, concerts des 1er, 13 et 28 octobre 2020
www.notredamedauteuil.fr/concerts-et-conferences/festival
 
 
(1) Réveil du grand orgue d'Auteuil » (2018)
www.concertclassic.com/article/reveil-de-lorgue-de-notre-dame-dauteuil-une-longue-attente-recompensee-compte-rendu
     Premier Festival d'Automne (2019)
www.concertclassic.com/article/festival-dorgue-dautomne-2019-auteuil-continue-de-feter-son-orgue-cavaille-coll-restaure
 
(2) Widor + interview d'Olivier Latry au sujet de l'orgue de Notre-Dame d'Auteuil
      www.facebook.com/lesvoixcelestes/videos/361088031796348/
 
(3) www.concertclassic.com/article/les-variations-goldberg-par-pascal-vigneron-au-festival-komm-bach-de-lorgue-tuyaux-lorgue-de
 
 
Photo © Jean-Baptiste Millot

Partager par emailImprimer

Derniers articles