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Concert « Roméo et Juliette en musiques » au Grand Amphi de la Sorbonne – Véronais non binaire – Compte-rendu

 
Une soirée où Roméo est tantôt un homme, tantôt une femme, Juliette restant incarnée par une interprète féminine du début à la fin, voilà qui convient bien à notre époque où il faut désormais échapper aux critères binaires en matière d’identité de genre. Voilà aussi qui va dans le sens du message de tolérance que prêchent (en douceur) les organisateurs du concert donné dans le cadre prestigieux du Grand Amphithéâtre de la Sorbonne, ce vendredi 26 avril.

Après un Requiem de Verdi donné la saison dernière en « version Terezin », c’est-à-dire tel qu’il avait été joué par les artistes déportés par les nazis, notre confrère Stéphane Lelièvre, maître de conférences en littérature comparée à Sorbonne Université et formateur d’enseignants à l’INSPÉ de Paris (Institut national supérieur du professorat et de l’éducation), avait choisi de suivre les mythiques amoureux exaltés par Shakespeare dans son drame, à travers quatre de ses avatars musicaux : l’opéra avec Bellini et Gounod, la symphonie dramatique de Berlioz et la comédie musicale de Leonard Bernstein. Evidemment, les moyens à la disposition de l’INSPÉ n’étant pas ceux d’une maison d’opéra, il a fallu faire des choix en fonction de certaines contraintes.

Pas d’orchestre, d’abord, mais un piano à queue, sur lequel officie brillamment Juliette Sabbah, bien connue comme accompagnatrice et cheffe de chant, qui passe donc d’un style à l’autre avec une admirable versatilité. Le Chœur de Paris, dirigé par Till Aly, est l’un des protagonistes, d’où le choix d’extraits lui permettant de s’exprimer, et même d’être sous les projecteurs lorsqu’il ne se situe pas à l’arrière-plan des solistes : c’est le cas avec les deux extraits de West Side Story, ainsi qu’avec le cortège funèbre de Juliette imaginé par Berlioz, choix exigeant pour un chœur amateur.

Marion Vergez Pascal © marion-vergez-pascal.com

Quant aux solistes, ils sont trois. Néanmoins, le but étant de raconter l’histoire des amants infortunés, s’ajoutent à leurs interventions quelques scènes de Shakespeare (en français) déclamées par des étudiants de Master, préparés par une formatrice de l’INSPÉ, avec la participation de notre confrère Romaric Hubert. Des trois chanteurs, la moins connue encore est la mezzo Marion Vergez Pascal, Révélation lyrique de l’ADAMI en 2022-23, qui a la lourde tâche d’ouvrir la soirée avec « Premier transports que nul n’oublie » de Berlioz, et à qui sont ensuite confiés de nombreux extraits d’I Capuleti e i Montecchi. Camper le Romeo de Bellini, la mission n’a rien d’impossible pour Marion Vergez Pascal, mais elle n’en est pas moins ardue : on regrette que « La tremenda ultrice spada » soit réduite à un seul couplet, ce qui nous prive de l’ornementation attendue lors de la reprise. Le timbre, séduisant, pourra encore gagner en fermeté mais l’interprète est sensible, et sa voix s’accorde bien à celle de sa Giulietta.
 

Fabien Hyon et Juliette Sabbah © Romain Chambodut, D.A. John Dauvin Un Pas de Conduite

Très remarquée partout où elle se produit, Camille Chopin (photo) est aujourd’hui un de nos plus beaux espoirs nationaux, et l’on regrette seulement que Bellini ait été préféré à Gounod pour l’entrée de Juliette, car l’opéra-comique français lui convient à merveille. Elle se lance néanmoins avec beaucoup d’aplomb dans l’air du poison et c’est avec elle et son Roméo que s’achève le concert. Or ce Roméo, à qui l’on fait aussi chanter quelques répliques de Tebaldo dans Bellini, n’est autre que Fabien Hyon. Après son récent succès dans Une petite flûte au Théâtre des Champs-Elysées, le ténor révèle de quoi il est capable dans le répertoire romantique : après un « Ah !, lève-toi, soleil ! » admirablement maîtrisé, il se montre tout aussi émouvant dans les autres extraits de l’opéra de Gounod, et dompte sans peine l’acoustique parfois ingrate du Grand Amphithéâtre.
 
Laurent Bury
 

Paris, Grand Amphithéâtre de la Sorbonne, 26 avril 2024

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© marion-vergez-pascal.com

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