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​Les Musiciens de Saint-Julien & Il Caravaggio au Festival d’Ambronay 2025 – Les Acrobates – Compte rendu

 
Le public ne mesure pas toujours assez à quel point la conception d’un concert s’apparente à un numéro d’équilibriste. Il faut savoir jongler entre différentes contraintes, éveiller la curiosité suffisante pour entraîner l’auditeur hors de sa zone de confort sans le décourager pour autant. Et dans l’exécution même de la musique, il faut aussi trouver un équilibre entre des tentations contradictoires, entre le plaisir du texte et le goût du beau son, notamment.

 

Julie Roset © Bertrand Pichène  

Les deux concerts proposés par le Festival d’Ambronay le 27 septembre en sont la parfaite illustration. A 15h, sous le titre ô combien paradoxal de « Doux Silence » (emprunté à une pièce d’Honoré d’ambruis), François Lazarevitch et ses Musiciens de Saint-Julien poursuivent une exploration de l’univers de l’air de cours, entreprise entamée de longue date : c’est cette fois vers la deuxième moitié du XVIIsiècle que les entraîne leur trajectoire. Même si Antoine Boesset, mort en 1643, figure parmi les compositeurs réunis, l’accent est clairement mis sur les contemporains de Lully, de son beau-père Michel Lambert à Bertrand de Bacilly en allant jusqu’à Christophe Ballard et Robert de Visée qui empiètent sur le siècle suivant.

 
 

François Lazarevitch, Julie Roset, Garance Boizot & Marie Bournisien © Bertrand Pichène

Broderie raffinée
 
Une écoute recueillie semble s’instaurer immédiatement dans l’Abbatiale d’Ambronay, pour ne pas perdre une seule des notes que jouent les quatre instrumentistes : Marie Bournisien à la harpe, Garance Boizot à la viole de gambe, Miguel Henry au théorbe et, bien sûr, François Lazarevitch à la flûte mais également à la musette, explicitement convoquée par plusieurs airs. Et si le programme inclut un certain nombre de pièces purement instrumentales, il fait la part belle à la voix, en l’occurrence celle de la soprano Julie Roset. Sur ses épaules repose la responsabilité de trouver le plus délicat des équilibres entre la déclamation des poèmes et leur ornementation, entre le sens et le son. L’oreille moderne peut avoir besoin d’un bref temps d’adaptation pour s’habituer à la charge décorative dont se pare la ligne mélodique, conformément aux usages du temps, mais on se laisse vite envoûter par ce qui n’est pas excès mais « diminution », raffinement de la broderie imaginée sur chaque couplet supplémentaire, ce qu’illustrent fort bien les six strophes de « La Bergère Annette » de Ballard. La prononciation restituée pour laquelle opte la chanteuse (« les bois » deviennent « les boèce ») ajoute encore au dépaysement créé.

 

Camille Delagorge & Il Caravaggio © Bertrand Pichène

 
Un jeune compositeur plein d’atouts

 
Equilibre encore avec le concert de 20h30, entre compositeur star et titre inconnu du grand public. Die Schuldigkeit des ersten Gebots est le tout premier opéra composé par Mozart, à l’âge de onze ans. Il n’est pas sûr qu’on ait revu en France ce « Devoir du premier commandement » depuis la production montée à Aix-en-Provence en 1991 (Salzbourg l’a présenté en 2006 et un DVD en a résulté), et l’œuvre reste néanmoins confidentielle. La musique en est pourtant superbe, mais un livret assez peu théâtral empêche sans doute que cette partition revienne sur les scènes. L’exécution de concert offerte par Camille Delaforge à la tête de son ensemble Il Caravaggio permet donc d’en goûter les réelles beautés. Les vingt-cinq instrumentistes rassemblés montrent que le jeune Wolfgang avait déjà en mains tous les atouts nécessaires, dans les airs bien sûr, mais aussi dans le récitatif accompagné où l’Âme chrétienne décrit comment la vision de l’enfer ramènerait bien vite le croyant dans le droit chemin. Le rôle de Christgeist aurait dû être interprété par Levy Sekgapane ; une absurde histoire de visa nous prive du ténor sud-africain, mais il est remplacé au pied levé par l’excellent Petr Nekoranec, dont l’Arbace d’Idomeneo à Toulouse avait déjà prouvé les qualités mozartiennes.

 

Lila Dufy & Petr Nekoranec © Bertrand Pichène

Virtuosité et aisance

Ce concert avait déjà été donné à Saint-Denis en juin dernier, mais le seul rescapé de la distribution vocale est le ténor Jordan Mouaïssia, qui défend avec conviction le rôle plus bref du Chrétien. On retrouve avec beaucoup de plaisir les riches couleurs sombres et l’expressivité constante de la mezzo Blandine de Sensal (photo), qui aura le privilège de reprendre l’air de la Compassion pour le dernier des bis de la soirée. Les représentations de Médée de Cherubini à l’Opéra-Comique avaient révélé en Dircé la soprano Lila Dufy, dont on découvre cette fois la virtuosité et l’aisance confondante dans le suraigu. Face à l’enthousiasme du public, et malgré l’absence d’un baryton, l’orchestre accompagnera les quatre solistes dans trois bis, donc un « Soave sia il vento » devenu quatuor et un duo Papageno-Papagena confié cette fois à quatre voix, le dernier Mozart rejoignant ainsi le premier en un parfait équilibre.
 

Laurent Bury
 

Festival d’Ambronay, Abbatiale, 27 septembre 2025 // www.ambronay.org/agenda
 
Photo © Bertrand Pichène

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