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Une interview de Lionel Bringuier – Coup de jeune sur la Tonhalle de Zürich

Vrai coup de jeune pour le solide Tonhalle Orchester de Zürich, auquel David Zinman, en  vingt ans, avait déjà donné une envergure internationale. Avec la fougue et le talent de Lionel Bringuier, nouveau chef et directeur musical, et l’engagement passionné d’Ilona Schmiel, quittant le Festival de Bonn qu’elle dirigea pendant dix ans avec succès pour devenir intendante à Zurich, l’Orchestre prend un nouveau départ.
Pour Ilona Schmiel, qui se régale de trouver ici la magnifique salle de la Tonhalle, une carrière esquissée de cantatrice l’a amenée à se battre pour la musique sur tous les fronts avec une rare force de persuasion, que ce soit pour la musique contemporaine (création de Karawane en septembre dernier, de et en présence d’Esa Pekka Salonen), l’ouverture aux jeunes et l’enrichissement de l’écoute. « Je dois être un peu comme un GPS », dit cette jolie femme, à l’immédiat rayonnement, « et soutenir l’intérêt constamment, montrer de nouvelles voies, de nouvelles interprétations ». Elle est ainsi une ardente supportrice du Sistema de José Antonio Abreu au Venezuela, et a déjà fait venir à Zürich cet automne l’Orchestre des Jeunes de Caracas, avec Dietrich Paredes et Andres Rivas.

 Ilona Schmiel © Tonhalle-Gesellschaft /Prika Ketterer

 « Nous proposons 109 concerts dans la grande salle, plus de nombreuses séances pour les jeunes, des masterclasses, des tournées, l’année à venir en France, en Autriche et en Allemagne. Et pour donner plus de force à notre image, nous invitons une artiste à résider pour la saison, cette fois Yuja Wang, l’année prochaine Lisa Batiashvili. Il nous faut des personnalités fortes qui aident le public à se retrouver dans l’immense kaléidoscope musical, et Lionel est un élément majeur dans cet effort, par son ouverture aux autres ».
Bref, le Tonhalle Orchester de Zürich ressemble aujourd’hui à une joyeuse fourmilière, dont les 28 ans de Lionel Bringuier sont le porte-flambeau. Il en parle avec enthousiasme. 
 
Depuis votre Prix au Concours de jeunes chefs d’orchestre de Besançon, en 2005, votre bilan est impressionnant! Comment s’est mise en marche cette aventure zurichoise ?
 
Lionel BRINGUIER : C’est une merveilleuse histoire qui s’est déroulée pour moi depuis novembre 2011. J’avais dirigé l’orchestre de la Tonhalle dans l’Oiseau de Feu comme chef invité, et une alchimie particulière s’est aussitôt instaurée entre nous,  mais je ne savais pas qu’ils cherchaient un directeur. J’avais dit à mon agent, le matin du concert, combien j’aurais apprécié ce poste, mais en toute ignorance! Le soir même ils m’ont annoncé que David Zinman partait en septembre 2014 et m’ont demandé de le remplacer ! Un deuxième concert a renforcé cette entente, et en novembre 2012, j’ai été nommé, avec le plein accord de l’orchestre. Tout s’est passé très naturellement. Mon contrat est de quatre ans. Mais en fait, toutes ces années, je les ai beaucoup conduits, notamment en tournée, ainsi dans la salle de la Philharmonie de Berlin.
 
Où en êtes-vous de vos divers engagements ?
L.B. : Je suis libre et je me donne entièrement à cette haute responsabilité. J’ai terminé à Los Angeles, où Esa Pekka Salonen m’engagea comme assistant, puis son successeur Gustavo Dudamel  m’y désigna comme associé et enfin résident. J’y suis resté six ans. J’ai aussi dirigé l’Orchestre de Bretagne et l’Orchestre de Castille et Léon à Valladolid. Avec tous, j’ai beaucoup appris, mais particulièrement  avec les orchestres américains qui ont un fonctionnement très différent du nôtre. Peu de répétitions, et beaucoup de concerts. Un rythme très dur qui implique une efficacité sans faille. Il faut s’adapter rapidement et cela affûte les réflexes.
 
Comment ressentez vous vos musiciens zürichois ?
L.B. : Ce qui m’émerveille, c’est que pour chaque nouveau programme, je les trouve déjà très préparés, totalement impliqués, attachés à travailler d’emblée en profondeur. Sérieux et passionnés dans leur désir que tout sonne de mieux en mieux. Du coup, je peux vite affiner les phrasés, les couleurs. Ils sont de vingt-sept nationalités différentes pour cent musiciens, ce qui me réjouit car cela donne une vraie richesse qu’il faut coordonner,  et surtout, ils ont une qualité d’écoute entre eux qui est majeure pour moi. Avec cette attention qu’ils manifestent les uns aux autres, leur rubato devient plus naturel. C’est pour moi la clef de l’interprétation orchestrale, plutôt que de suivre la battue du chef.
 
Quelle est la thématique de vos programmes ?
L.B. : Certes, il y avait ici une très forte présence des grands classiques allemands, Beethoven, Brahms, Mahler, mais je tiens beaucoup à la musique française qui permet des couleurs si raffinées. Nous inscrivons donc cette année à notre programme un cycle Ravel, qui donnera à entendre des œuvres que tout le monde croit connaître et que l’on programme pourtant rarement. Ainsi la trop rare Barque sur l’océan,  ainsi que Les Valses Nobles et sentimentales, ou le Menuet antique, que nous donnerons en janvier, avec la suite complète de Daphnis et Chloé. Mais ce n’est pas nouveau pour eux. Zinman, qui avait été élève de Pierre Monteux, la leur faisait connaître. Je vais préciser cette découverte et ce style si particuliers, auxquels ils adhèrent avec bonheur. Ce cycle fera l’objet d’enregistrements.
 
Aurez-vous d’autres axes ?
L.B. : Il m’est difficile de le dire, car je suis amoureux fou de la musique en général. Je souhaite simplement diversifier mon approche, et notamment avec la musique contemporaine, qui m’intéresse énormément. J’y ai été beaucoup confronté à Los Angeles, où Salonen en programmait beaucoup et où nous remplissions les salles avec des programmes du XXe siècle notamment Bartók et Stravinski, ce qui ne posait aucun problème là-bas. Je suis très ouvert aux diverses formes, porté depuis toujours par la passion, j’adore aller au concert, travailler une partition et surtout partager la musique. Lorsque adolescent je faisais du violoncelle, ce qui me portait c’était l’envie de faire de la musique de chambre. Le partage, toujours, bien plus que l’image aujourd’hui dépassée du chef autoritaire en majesté, qui ne m’intéresse guère. D’ailleurs j’aime mieux le mot anglais, conductor, que le français. Ici je suis heureux de travailler avec des musiciens qui répondent à cette attente, et qui me surprennent, comme ils l’ont fait avec cet Oiseau de Feu, un peu mon œuvre fétiche, car je l’ai déjà abondamment dirigée avec d’autres grands orchestres. C’est un bonheur de chaque instant que de me retrouver face à eux.
 
Propos recueillis par Jacqueline Thuilleux, à Zürich, le 26 novembre 2014.
 
Tournée de l’Orchestre de la Tonhalle de Zürich en France, dir. Lionel Bringuier : Lyon, Auditorium Maurice Ravel, le 28 février 2015, www.auditorium-lyon.com ; Toulouse, Halle aux grains, le 2 Mars 2015 (avec Yuja Wang), http://www.grandsinterpretes.com/concerts/tonhalle-orchester-zurich-lionel-bringuier-yuja-wang/
 
Concerts de Lionel Bringuier à Paris avec l’Orchestre Philharmonique de Radio France, Grand Auditorium de la Maison de Radio France, le 12 décembre 2014 (Dvorak, Brahms ; avec François Frédéric Guy), le 18 (Brahms) et le 19 décembre 2014 (Brahms, Dvorak ; avec Daniel Müller-Schott)

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