Journal

Un contreténor à Venise - Une interview de Max Emanuel Cencic

Sous le feu des projecteurs à l’occasion de la sortie de son nouvel enregistrement consacré à des airs de compositeurs vénitiens célèbres ou méconnus(1), Max Emanuel Cencic est en concert à Lyon, le 12 février, puis à Paris, au Théâtre des Champs-Elysées, le 15. Il a accepté de répondre aux questions de Concertclassic.

Vous avez beaucoup chanté Haendel et l’opéra baroque napolitain. La musique de Venise est une musique plus concertante et moins mélodique. Est-elle plus difficile à interpréter ?

Max Emanuel CENCIC : Non, elle n’est pas plus difficile pour moi. Techniquement, elle ne présente pas de difficulté particulière. Mais c’est vrai que c’est une musique qui est moins construite autour des mélodies et de la forme aria / da capo. Il y a une grande variété stylistique dans la musique de cette époque qui correspond aux différents affects propres à la musique baroque tels qu’on les apprend en tant que chanteur : la rage, le sentiment amoureux, la tragédie, etc. Au-delà de l’aria elle-même, il s’agit donc de s’impliquer dans chacune de ces humeurs pour transmettre un état d’âme en quelque sorte. En ce sens, je voulais éviter une simple succession d’airs et réunir des compositeurs différents pour transmettre un véritable panorama des différents styles de la musique vénitienne à cette époque.

A côté de Vivaldi, on entend des compositeurs moins connus comme Porta ou Giacomelli. Vous avez aussi enregistré récemment un opéra de Haendel méconnu, Alessandro. Est-il important pour vous d’être un passeur de musique au-delà du simple récital vocal ?

M.E.C. : Absolument. Je m’ennuierais si je devais chanter ce qu’on connaît déjà bien. Je pense que la musique baroque, comme la musique classique, demande constamment d’être redécouverte. On entend régulièrement du Verdi ou du Mozart, et tant mieux. Mais il y a beaucoup d’autres musiques moins courues qui méritent d’être entendues. L’important, c’est de choisir celles qui en valent vraiment la peine.

Avez-vous déjà en tête des opéras méconnus que vous aimeriez interpréter dans une production scénique ?

M.E.C. : Oui, je suis en plein planning de 2014 à 2016. Mais il est encore un peu tôt pour en parler, rien n’est signé.

Vous savez déjà s’il s’agit d’opéra vénitien ou napolitain ?

M.E.C. : Oui, napolitain, romain et même allemand !

Vous êtes aussi à l’origine de la production flamboyante d’Artaserse, opéra romain de Vinci avec cinq contreténors. C’est le signe que la voix de contreténor est devenue une voix à part entière. Pensez-vous qu’une telle affiche aurait été possible il y a encore dix ans ?

M.E.C. : C’est vrai qu’une production comme celle-là n’aurait pas été possible il y a une décennie, simplement parce que nous n’aurions pas eu assez d’excellentes voix pour la monter. Aujourd’hui, il y a de plus en plus de contreténors avec une voix hallucinante, comme par exemple Franco Fagioli qui a été la révélation de cette production. On peut donc monter aujourd’hui ces opéras qui nécessitent un casting exceptionnel. Et je compte bien continuer de produire et de faire redécouvrir cette tradition romaine de l’opéra travesti que j’aime particulièrement.

Vous aviez été le premier contreténor à chanter du Rossini. Vous semblez pouvoir chanter le répertoire d’une mezzo à part entière. Avez-vous des limites vocales ?

M.E.C. : Bien sûr ! Malheureusement, il y a encore beaucoup d’airs que j’aime et qui ne conviennent pas à ma voix, ou pas encore.

Philippe Jaroussky expliquait il y a peu dans ces colonnes (2) qu’il travaillait aussi beaucoup son chant avec sa voix naturelle de baryton pour garder un lien physique qui n’est pas le même avec la voix de tête. Travaillez-vous aussi avec votre voix de poitrine ?

M.E.C. : Non, simplement parce que je n’en ai pas ! J’ai essayé de chanter avec ma voix de ténor mais c’était nul, une vraie catastrophe ! Je travaille donc directement avec ma voix de tête. C’est ma voix la plus naturelle depuis mon enfance.

Enfant, justement, vous aviez travaillé sur La Flûte enchantée avec Sir Georg Solti. Quel souvenir en gardez-vous ?

M.E.C. : Un grand souvenir bien sûr ! On ne peut pas vraiment parler de collaboration, j’étais trop jeune (14 ans, ndlr). Disons que j’étais seulement un objet dans l’univers de M. Solti. Mais j’ai beaucoup appris de lui. Il avait déjà 80 ans mais c’était un grand monsieur, qui a quand même connu personnellement Richard Strauss ! Il savait ce qu’il voulait. Il pouvait être très dur, mais avec une grande compréhension de la musique et des idées très précises. Il m’a appris à être très préparé pour ne pas perdre trop d’énergie dans les répétitions. C’était une véritable leçon pour moi. Mais je crois que c’était aussi quelqu’un de très tourmenté par son culte de la perfection. En tout cas, c’est un chef extraordinaire.

Vous n’avez pas l’air trop tourmenté en revanche...

M.E.C. : Oh que si ! Tous les artistes le sont. On est toujours angoissé à l’idée de ne pas donner le meilleur de soi-même.

Vous chantez souvent avec Philippe Jaroussky alors que vous avez des voix et des personnalités très différentes. Qu’appréciez-vous particulièrement chez lui que vous n’auriez pas ?

M.E.C. : Ce qui me fascine, c’est son sens de l’interprétation. Au-delà de la voix, il a une présence et une façon très singulière d’immerger le public à l’intérieur d’une musique. Je ne pense pas avoir ce don, mais j’espère avoir une certaine présence quand même !”

Propos recueillis par Luc Hernandez le 31 janvier 2013

(1) « Venezia », airs de Caldara, Porta, Vivaldi, Giacomelli, Albinoni, Sellitto / Il Pomo d’Oro, dir. Riccardo Minasi / 1 CD Virgin 4645452

(2) Lire l’interview : http://www.concertclassic.com/journal/articles/alaune_20121218_4756.asp

Max Emanuel Cencic, contreténor
Ensemble Il Pomo d’Oro, dir. Ricardo Minasi
Œuvres de Vivaldi, Albinoni, Gasparini, Ristori
Festival de musique baroque de Lyon
12 février – 20h
Lyon – Chapelle de la Trinité
www.lachapelle-lyon.org

Œuvres de Scarlatti, Gasparini, Haendel, Vivaldi
Europa Galante, dir. Fabio Biondi
15 février – 20h
Paris – Théâtre des Champs-Elysées

> Programme détaillé et réservations au Théâtre des Champs-Elysées

> Vous souhaitez répondre à l’auteur de cet article ?

> Lire les autres articles de Luc Hernandez

Photo : Laidig
 

Partager par emailImprimer

Derniers articles