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Trois questions à Vanessa Wagner – Le post-minimalisme au Festival international de piano de La Roque d’Anthéron

 

 

Pianiste du grand répertoire et de la création contemporaine, Vanessa Wagner aime également explorer les compositeurs du courant « post-minimaliste ». Après le CD Inland en 2019 – et avant la parution en novembre du troisième volet d’un triptyque – elle enregistrait pendant le deuxième confinement Study of the Invisible pour le label InFiné, avec des pièces de Philip Glass, David Lang, Brian Eno, Bryce Dessner, Caroline Shaw… Elle nous parle de ce répertoire qu’elle interprète le 19 juillet dans l’auditorium du centre Marcel-Pagnol de La Roque d’Anthéron, dans le cadre du fameux festival international de piano.

 
 
Quelles émotions cherchez-vous à communiquer dans ce courant musical qu’on entend peu au concert classique?
 
Il est en effet assez peu fréquenté, peu connu et parfois un peu méprisé en France. À tort, alors qu’il représente un magnifique travail de la sonorité, de l’atmosphère, du silence, de la mélancolie, avec beaucoup de lumière aussi. Ce n’est pas une musique sombre ni absolument triste, mais elle appelle à l’introspection, à des voyages intérieurs. C’est ce qui m’attire : même quand je joue la musique dite classique ou romantique, je préfère toujours les moments un peu rêveurs, les musiques qui expriment les tourments de l’âme. D’un point de vue des émotions et du sentiment introspectif, je fais un rapprochement – certes un peu osé… – avec un Schubert, un Scriabine, ou Pascal Dusapin. Dans ses Études ou dans O Mensch ! que j’ai beaucoup joués, il y a cette intensité profonde qui écoute le silence, qui cherche son sens dans la vibration d’une note, où il faut être extrêmement incarnée, savoir s’abandonner, donner beaucoup pour recevoir en retour. À les rejouer en ce moment, cela m’apparaît comme une évidence : en ayant aujourd’hui beaucoup côtoyé la musique minimaliste, en assumant totalement le fait d’avoir “moins de notes” que chez les romantiques, je vais beaucoup plus loin dans mes interprétations de Dusapin comme de Schubert. Le langage est complètement différent mais on trouve des similitudes dans le fond, et c’est justement là que pour moi cela prend tout son sens : il y a un noyau commun qui irradie et cela me passionne comme interprète.
 

Au Festival de la Roque d'Anthéron en 2021 © Valentine Chauvin
 
 
Quel soin accordez-vous à votre sonorité, sur disque et en concert?

S’il y a une chose que je développe depuis trente ans comme pianiste classique et à laquelle je fais très attention, c’est la sonorité. J’ai toujours été attentive au son, aux couleurs, aux timbres, c’est ce que je trouve de plus beau dans la musique, il ne fallait pas travestir mon son. Même si c’est évidemment différent en concert, il faut être en immersion pour voyager dans cette musique, qui est une musique d’émotion, qui fait vibrer, qui respire et où on doit entendre de la vie. J’ai parfois à la fin d’un récital des réactions de personnes très émues, qui ont l’habitude d’aller au concert classique et qui me disent avoir été embarquées alors qu’elles pensaient ne pas pouvoir aimer Philip Glass ou Brian Eno. Ces musiques remuent en moi des émotions très personnelles, très puissantes, si je n’avais pas de connexion avec, si je ne sentais pas pouvoir y dire quelque chose, je ne la jouerais pas.
 

Caroline Shaw © Kait Moreno
 
Dans votre programme, deux pièces retiennent particulièrement l’attention : l’Étude n° 6 de Philip Glass, et Gustave Le Gray, de Caroline Shaw, qui apparaît comme un sommet émotionnel …
 
L’Étude n° 6 de Glass est d’une intensité incroyable, puissante comme une claque. Il faut trouver l’extrême contrôle des notes répétées, elle doit être sur le fil, en concert elle est périlleuse parce que Glass ne supporte pas l’à peu près, d’autant que j’aime bien la jouer assez vite. Elle est frémissante, crépitante ! Quant à Gustave Le Gray de Caroline Shaw, c’est une pièce d’une étrangeté … Accessible et contemporaine, avec des citations de Chopin, du romantique, l’influence des minimalistes répétitifs… Elle peut même faire penser à certains moments à Keith Jarrett, que j’ai beaucoup écouté quand j’étais très jeune et qui m’a préparée sans doute à cet univers, avec ces immenses espaces, ces plages à la fois transes et méditatives que j’adore explorer. Ce qui est merveilleux dans la pièce de Caroline Shaw, c’est qu’on y sent le passé, le présent, tout se mêle. Et c’est aussi cela que j’aime dans ces générations de compositeurs, principalement américains. Les Philip Glass, Steve Reich, John Adams, La Monte Young, Terry Riley ont quand même fait exploser le langage musical, quoi qu’en disent certains. J’aime bien rappeler que Philip Glass n’est pas seulement celui qui fait des tierces mineures… C’est dans l’histoire de la musique une coupure radicale avec ce qui se passait en Europe, Boulez, Stockhausen, Xenakis. Ils ont ouvert un autre chemin, inventé un autre langage. On aime ou on n’aime pas, mais ce chemin a une influence capitale dans l’histoire de la musique. On ne peut pas les réduire à “c’est tout le temps la même chose”.
 
Propos recueillis par Didier Lamare le 5 juillet 2022
 

 
Récital au Festival international de piano de La Roque d’Anthéron, le mardi 19 juillet 2022 à 11 h (Auditorium Centre Marcel-Pagnol)
www.festival-piano.com/fpr_spectacle/22-07-19_vanessa-wagner/
 
 
O Mensch ! et Études de Pascal Dusapin au festival Messiaen au Pays de la Meije, les 25 et 26 juillet 2022

www.festivalmessiaen.com/
 
 
This is America ! à deux pianos avec Wilhem Latchoumia au Festival de Chaillol, les 1er et 2 août 2022

www.festivaldechaillol.com/la-saison/festival/
 
 
vanessawagner.net/
 
carolineshaw.com/

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