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Toulouse - Compte-rendu : Les Contes d'Hoffman - Offenbach dans son temps

En regardant tourner sur la scène du Capitole de Toulouse la rosace en faux gothique transformée soudain par ce simple mouvement en « grande roue », je me remémorai les reproches adressés, avant même sa prise de fonction à la tête de l'Opéra de Paris, par les sectateurs de Gérard Mortier à Nicolas Joël qui signe avec ces Contes d'Hoffmann sa dernière mise en scène de la saison qui s'achève dans la ville rose.

Alors que la mode chez son prédécesseur immédiat à Paris est à l'actualisation forcée et généralisée allant jusqu'à enfermer la jeune princesse Iphigénie dans un mouroir à trois euros, le Toulousain reste au fil des ans un fervent partisan de la transposition des ouvrages à l'époque de leur composition. Ainsi en va-t-il de l'ultime chef-d'oeuvre de Jacques Offenbach. Ça n'est pas un tic chez lui, mais le moyen de faire dire aux chefs-d'oeuvre ce qui se cache en eux et, partant, d'en découvrir l'actualité aux yeux du public d'aujourd'hui: l'allusion historique considérée comme une vertu pédagogique. Il n'y a rien là de répréhensible. Question de mode ! Et les grincheux peuvent économiser leurs soupirs, car les cheveux ne peuvent de toute façon être que longs, courts ou mi-longs...

Voilà donc les trois récits des amours tragiques du poète alcoolique d'Offenbach replacés dans la perspective de la révolution industrielle et surtout de la foi aveugle dans le progrès de la science qui ont caractérisé la fin du Second Empire et la naissance de la IIIe République. Ainsi tous les disparates d'un ouvrage longtemps problématique vont céder dans l'unique décor qui rappelle à la fois la rosace de Notre Dame de Paris restaurée par Viollet-le-Duc et les immenses halls de gare qui jaillirent alors à travers tout l'Hexagone. La perspective de la grande rosace à la plus petite suggère clairement les diaphragmes d'un appareil photographique.

Dans ce décor à la fois beau esthétiquement et intelligent par ses virtualités signé de l'orfèvre Ezio Frigerio, l'irruption de l'incongru paraît presque naturel: ainsi de l'arrivée de Coppelius en locomotive dans un nuage de vapeur avec les lunettes de Gabin dans « La Bête humaine » ou du Dr Miracle dans son cabriolet tiré par un cheval de bois dans l'acte d'Antonia. Quant à l'acte de Venise, il ressemble à s'y méprendre à ces bals costumés et coquins que la bonne société décadente se donnait dans des lieux improbables au tournant du siècle. Ce qui justifie la fausse gondole avec ses deux mannequins de gondoliers...

N'en déplaise aux aristarques de la modernité, Nicolas Joël ne manque pas d'idées de théâtre et encore moins de culture. Et ce qu'on apprécie dans son travail ici, c'est sa volonté de réinscrire Les Contes d'Hoffmann dans le style de l'opéra comique français auquel Offenbach n'a cessé d'aspirer sa vie durant. Ce genre appartient au divertissement de la petite bourgeoisie parisienne d'alors, quoiqu'en pensent certains intellos d'aujourd'hui qui n'en finissent pas de couper leurs racines... Mais justement, en passant le tout au filtre de la caméra obscure du décor, Nicolas Joël met au jour les ressorts du genre sans jamais trahir la musique. Au point que le public rit jaune à la fin de l'acte de la poupée quand celle-ci réapparaît toute démantibulée: le Dr Folamour est de tous les temps.

Et puis, il y a cette acoustique désormais rare et cette proximité inouïe de la scène et du public qui font que nul ne peut tricher et doit payer comptant s'il veut être payé de retour. Largement internationale, la distribution tient la gageure du français, même la basse coréenne Samuel Youn qui campe le quadruple rôle du diable avec un aplomb surprenant. L'Olympia de l'Italienne Désirée Rancatore atteint la perfection dans le jeu comme dans la ritournelle. Inva Mula (photo) est une bouleversante Antonia aux antipodes de la Giulietta de la mezzo américaine Kate Aldrich qui reste courtisane jusqu'au bout des doigts. Notre mezzo Karine Deshayes s'impose magnifiquement dans le double rôle de la Muse et de Nicklausse. A noter aussi le style parfait de nos compatriotes Christian Jean (Spalanzani), Christian Tréguier (Crespel) et Rodolphe Briand (ténor bouffe). La seule déception vient du rôle-titre confié au ténor bulgare Zwetan Michailov qui ne s'en tire pas sans quelques bandrilles d'un public exigeant et connaisseur. Sous la baguette enthousiaste d'Yves Abel, l'orchestre comme les choeurs du Capitole se montrent sous leur meilleur jour.

Jacques Doucelin

Le jeudi 19 juin 2008. Prochaines représentations : 22 et 29 juin (15 h.), 26 juin (20h.)

Photo : © : Patrice Nin
 

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