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Strasbourg - Compte-rendu - Une saisissante Lulu

De grands murs recouverts de carreaux de faïence, des tiroirs dans lesquels reposent des corps recouverts d’un drap : la morgue. Tel est le lieu unique où se situe l’action de Lulu selon Andréas Baesler, des éléments de décor viendront petit à petit meubler cet espace et habiller les différents lieux de l’action. Au troisième acte de superbes tentures de velours rouge habilleront l’appartement de Lulu et Alwa à Paris, puis disparaîtront à vue afin de recréer l’ambiance du prologue.

C’est dans cet univers froid et impersonnel que mourra Lulu sous les coups de Jack l’éventreur, la boucle sera ainsi bouclée, elle disparaîtra sur le brancard du médecin légiste (le dompteur) comme elle avait repris vie à la fin du prologue. Avec ce dispositif fort ingénieux, l’action se déroule avec une fluidité déconcertante. Dans cette vision l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg tient le premier rôle. Les couleurs qu’il distille sous la baguette attentive du chef Günter Neuhold sont un vrai bonheur pour l’oreille, cordes soyeuses, vents avec suffisamment de noirceur pour souligner les affects de la partition sans trop les appuyer. C’est du côté de Brahms que le chef tire l'ouvrage, vision emplie de clairs-obscurs qui sied à merveille à une direction d’acteurs intelligente.

De l’ensemble de la distribution, se détache le docteur Schön/Jack de Dale Duesing. Diction parfaite, voix bien timbrée qui traduit à merveille la schizophrénie du personnage. La scène où il pousse Lulu au suicide est d’un machiavélisme morbide. Franz Mazura qui fut un inoubliable Schön/ Jack, à Garnier en 79, dans la production Chéreau/Boulez, endosse les habits de Schigolch, personnage inquiétant, roublard. La voix n’a rien perdu de son mordant, ses interventions avec Lulu font planer un malaise de bon aloi. Fabrice Dalis, avec une voix fruitée campe un Alwa torturé entre son devoir filial et son amour pour Lulu. Ses confrontations avec son père sont secondées par un orchestre ductile qui sait se faire tour à tour charmeur et machiavélique.

La Lulu de Mélanie Walz est pleine de sensualité. Comme une plante venimeuse elle enserre dans ses filets chacun des hommes qui croisent son chemin ! Sa scène de la lettre avec Schön est d’une bestialité à vous glacer les sangs ! Si l’actrice est adroite, elle peine à faire face aux difficultés vocales de son personnage. Le médium manque de puissance, les aigus sont à la limite du cri ; dans un rôle qui sollicite beaucoup le suraigu cela met en péril la ligne de chant. Dommage !

Edwig Fassbender est une Comtesse Geschwitz de haute lignée. Voix ample et fruitée qui traduit admirablement les sentiments éprouvés pour la belle Lulu. Son ultime appel respire le parfum vénéneux d’un amour pour l’éternité… Le reste de la distribution est à l’avenant avec une mention pour l’Athlète/Dompteur de Paul Gay et le Peintre/LeNègre de Eric Huchet.

Bernard NIEDDA

Strasbourg le 15 juin.

Photo: Alain Kaiser
 

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