Journal
Siegfried à l’Opéra Bastille - Plomb ou Or ? - Compte-rendu
Et si, pour finir, Siegfried était le meilleur volet de la Tétralogie signée Günter Krämer ? On entend déjà les sarcasmes de nombre de confrères et de bien des spectateurs. Un spectacle si laid, si pauvre en direction d’acteur, aux costumes si moches, aux décors si toc, qu’on avait d’ailleurs nous mêmes méchamment raillé lors de sa création ?
Et pourtant, on plaide coupable, mais on a pris du plaisir hier soir, paradoxalement plus qu’à Walkyrie, sans que pourtant la qualité de l’exécution musicale se montre décisive dans la découverte de cette soudaine révélation (le mot est un peu fort quand même). Que Philippe Jordan s’affaire à tant alléger la matière de son orchestre, avec sa pointe de narcissisme évidente, sans entendre que ses tempos étirés la dispersent immanquablement reste un mystère, surtout dans Siegfried où l’esprit du scherzo devrait régner au moins durant tout l’acte I. On ne lui pardonne pas vraiment de ne pas tenir la propre quadrature du cercle qu’il s’impose mais on prend volontiers les très beaux moments, souffle du dragon et émerveillement de l’oiseau et l’on félicite le cor subtil de Vladimir Dubois qui de la coulisse raffine son cuivre en or. C’est quand même un peu court, et vraiment Wagner est-il voué par les modernes à la lenteur alors que les anciens nous le faisaient si vif et surtout si narratif ? Ici on ne raconte pas, on soliloque un peu à perte de vue.
Le Siegfried de Torsten Kerl fait assaut de musicalité mais aussi d’une voix bien dans le nez, ténor de caractère poussé aux emplois héroïques, lot commun de tant de Siegfried et même de Tristan. Il est mieux au III, car il couvre, recentrant le timbre, se rappelant qu’un ténor wagnérien c’est d’abord un registre médian nourri. Mais comment ne pas voir que le Mime impayable de Wolfgang Ablinger-Sperrhacke lui vole la vedette de son formidable clairon ! L’acteur est prodigieux, le chanteur pas moins, on enrage que Siegfried nous en prive en le trucidant. Son requin de frère est tenu avec sa maestria dramatique coutumière par Peter Sidhom qui parle le rôle. Peu importe, l’effet est gagnant.
On rend les armes cette fois devant le Wotan d’Egils Silins qui sonnait si terne dans Walküre. Le Wanderer l’inspire avec sa tessiture plus basse, les mots sonnent, la ligne se tend enfin et la scène avec l’Erda toujours aussi abyssale (mais fatiguée comme le montre son vibrato) de Qiu Lin Zhang était un grand moment. Magnifique oiseau nacré selon Elena Tsallagova, formidable Fafner-Ubu Roi de Peter Lobert, basse saxonne qui reprend le Dragon là où l’avait laissé Ridderbusch, rien moins, même Alwyn Mellor se brûle en des aigus dardés mais sur lesquels, prudente, elle ne reste pas trop.
Pourtant c’est bien le conte ironique, tout dans le décalage et pour le II dans une étrange fantasmagorie de jungle et de guérilla, qui nous a séduit. Après tout, les deux premiers actes de Siegfried sont vraiment caressés par les ailes conjointes du bizarre et du merveilleux. Cette sensation de monde parallèle est encore présente dans la scène qui ouvre le III sur la bureaucratie implacable des Nornes. Jusque là, et qu’on supporte ou qu’on déteste l’esthétique du spectacle, une cohérence certaine est à l’œuvre. Mais il suffit que le grand escalier fatidique revienne pour le tableau final, avec sa volée de Walkyries-pigeons qui semble se dorer au soleil, pour que tout s’effondre. Ce Siegfried qui monte l’escalier comme un toutou, cette Brünnhilde en jupon, c’est trop Et encore une fois le rideau tombe comme un couperet, nous privant de la belle image d’un Wotan épuisé remontant en son Burg aidé par les walkyries compatissantes.
Jean-Charles Hoffelé
Wagner : Siegfried -Paris, Opéra Bastille, le 25 mars, prochaines représentations : 29 mars, 3, 7, 11 avril et 23 juin 2013
www.operadeparis.fr
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Photo : Opéra national de Paris/ Elisa Haberer
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