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Santtu-Matias Rouvali et l’Orchestre Philharmonique de Tampere au Festival Radio France Montpellier – Un chef dans son arbre généalogique – Compte-rendu

On ne présente plus Santu-Mattias Rouvali (photo) ; à 33 ans seulement, celui qui prendra la succession de compatriote Esa-Pekka Salonen à la direction du Philharmonia Orchestra en 2021, s’est définitivement imposé parmi les très grandes baguettes de notre temps. Sachons gré aux responsables de l’Orchestre Philharmonique de Radio France(1) et du Festival Radio France d’avoir très tôt su repérer et fidéliser le prodigieux jeune maestro finlandais. Après un premier passage à Montpellier en 2014, il était de retour à Montpellier l’an dernier pour un concert d’anthologie réunissant le Concerto pour la main gauche de Ravel (avec Bertrand Chamayou) et le Sacre du Printemps – dans une interprétation qui, par-delà la sidérante maîtrise de la « mécanique » stravinskienne, traduisait une vision hautement personnelle.(2)

Construit autour du thème « Soleil de Nuit ; les musiques du Nord », le Festival 2019 était tout destiné à Rouvali : il aura été au rendez-vous pour les deux dernières soirées, d’autant plus séduisantes qu’elles offraient de surcroît l’occasion de découvrir l’Orchestre Philharmonique de Tampere (2ème ville de Finlande après Helsinki), une formation fondée en 1930 dont Rouvali assure la direction musicale depuis 2013.

Santu-Mattias Rouvali et Jean-Luc Votano © Luc Jennepin

En deux programmes, le jeune chef et sa formation invitent le public à un beau voyage dans le répertoire scandinave et finlandais. L’ouverture de Maskarade, unique opéra de Nielsen, ouvre la fête avec une prestesse et une souriante luminosité qui résument bien l’esprit d’une partition merveilleuse, hélas totalement ignorée de nos scènes lyriques. On sait que Michael Schøndwandt, patron de l’Orchestre national Montpellier Occcitanie, rêverait de la donner en France – puisse-t-il y parvenir un jour !

Changement de climat et de siècle avec le Concerto pour clarinette (2001-2002) de Magnus Lindberg pour lequel Jean-Pierre Rousseau, directeur du Festival Radio France et ancien directeur du Philharmonique de Liège, a eu la bonne idée de confier la partie soliste à Jean-Luc Votano, clarinette solo de l’orchestre belge. D’un seul tenant (en cinq sections enchaînées), l’ouvrage offre tant à la clarinette qu’à l’orchestre l’occasion d’explorer une extraordinaire variété de textures et de climats. Bonheur des jeux de timbres, de la virtuosité la plus ouvertement assumée : soliste et chef se régalent d’une partition débordante d’énergie – et de surprises ! –  avec un engagement et une complicité de chaque instant. Le résultat emporte l’adhésion du public et, à l’évidence, du compositeur, présent dans la salle.
 

Magnus Lindberg, Jean-Luc Votano et Santu-Mattias Rouvali © Luc Jennepin

Partition souvent négligée et mésestimée, la 1ère Symphonie de Sibelius a pris un relief singulier sous la baguette de Santu-Mattias Rouvali dans l’enregistrement qu’il a réalisé avec l’Orchestre de Göteborg (Alpha). Si l’approche qu’il propose à la tête de l’Orchestre de Tampere ne manifeste pas le même degré d’âpreté que celle à la tête de la phalange suédoise (d’un niveau technique il est vrai supérieur), on n’est pas moins séduit, ici aussi, par le relief, le jaillissement d’une musique qui, sous une baguette d’une souplesse et d’un précision confondante, semble s’inventer mesure après mesure et fait entendre bien des prémices d’ouvrages à venir.

A nouveau au pupitre pour la soirée de clôture du Festival 2019, Rouvali a concocté un programme festif et contrasté. Il s’élance sur l’Ouverture de fête du Suédois Hugo Alfven, pièce nourrie du souvenir de la Polonaise d’Eugène Onéguine, où les musiciens savent ne pas confondre éclat et clinquant. Lui succède la Suite op. 25 n° 1 des Scènes historiques ; un Sibelius relativement méconnu, à tort, que le jeune maestro restitue avec un sens narratif et une puissance visuelle saisissants (on se croirait vraiment sur un champ de bataille avec la Scena médiane !). Ils ne frappent pas moins dans la Berceuse de Lemminkäinen et La forge de Sampo, deux extraits de la Kalevala Suite op. 23 du Finnois Uuno Klami (1900-1961) qui révèlent une vaste palette de couleurs, infiniment nuancée dans l’onirique première pièce, rutilante dans l’autre.

Une baguette dont vous n'avez pas fini d'entendre parler ... © Luc Jennepin

Les programmes montpelliérains de Rouvali ne comportent qu'une étape norvégienne, l'archi-connue le Grieg de la Suite n° 1 de Peer Gynt. Nulle suprise certes, mais quel plaisir de goûter la cristalline transparence d’Au matin d’une lumineuse transparence, l’immatérialité de la Mort d’Aase, l’élégance de la Danse d’Anitra, le parfum très il-était-une-fois de la Chanson de Solveig ou encore la jubilation sonore de l’Antre du roi de la montagne.

Retour à la Finlande et son plus emblématique compositeur en conclusion avec le Alla marcia de la Suite Karelia de Sibelius, sorte de précipité d’images, ivre de reflets lumineux, avant que Rouvali et ses musiciens n’offrent en bis, comme ils l’avaient fait la veille, l’inoxydable Valse triste. Rouvali y renonce à tout enrobage post-romantique pour saisir, avec une confondante délicatesse des nuances, l’essence symboliste et morbide de la pièce.

Alain Cochard

(1) Notez que S.-M. Rouvali dirigera le Philharmonique de Radio France à Paris (Auditorium de Radio France) le 6 mai 2020 dans un programme réunissant la Rhapsodie sur un thème de Paganini de Rachamaninov ( sous les doigts de Yulianna Avdeeva) et la Symphonie n° 5 de Chostakovitch.

(2) www.concertclassic.com/article/santtu-matias-rouvali-bertrand-chamayou-et-lorchestre-phiharmonique-au-festival-de-radio

Montpellier, Le Corum/Opéra Berlioz, 25 et 26 juillet 2019

Photo © Luc Jennepin

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