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Royaumont - Compte-rendu : Visages méconnus de Gounod


A la fois Centre de la voix et Unité scénique, la Fondation Royaumont, nous a habitués à balayer tout l'ambitus de la création musicale, de la Renaissance au contemporain. Pour ce beau week-end ensoleillé du Patrimoine, elle avait programmé l'un des piliers de l'opéra français du XIXe siècle, un certain Gounod. Ce n'est pourtant ni Faust ni Mireille, ni même une pièce religieuse du pieu musicien qui était au menu, mais son opéra comique - un vrai de vrai d'après Molière - Le Médecin malgré lui.

En lever de rideau, le public a pu assister l'après-midi dans la belle Salle des charpentes à un florilège de mélodies du même Gounod chantées par une demi-douzaine des futurs interprètes du Médecin malgré lui. Des voix saines d'où émergent des natures et de vrais talents musicaux, de la mezzo Joëlle Charlier à la somptueuse basse Bertrand Bontoux en passant par le baryton remarquable Sacha Michon et le ténor Julien Picard. Mais c'est le soir que cette véritable troupe va littéralement s'éclater dans l'ancien réfectoire des moines. Quel appétit de jouer, même si l'exiguïté du lieu contraint cette première à se faire en version concert !
C'est qu'avec leurs deux conseillers, Françoise Pollet pour le chant et Nita Klein pour les dialogues parlés, ils ont d'abord apprivoisé le si délicat passage du parlé au chanté. Le résultat est stupéfiant de naturel: les voilà prêts pour la salle Favart ! Ils vont désormais peaufiner les jeux de scène avec le metteur en scène Sandrine Anglade afin de se lancer sur les planches en mai prochain (1). Et ça promet ! Car ce Médecin n'est pas une bluette, mais une partition à la fois riche, élégante et d'une constante drôlerie, loin de toute vulgarité comme de toute banalité. Du meilleur Gounod.

D'emblée, l'ouverture se place dans la tradition de Lully par un savoureux clin d'oeil à son style : quel meilleur patronage pour dialoguer avec Molière ? Car dans leur infinie sagesse, les librettistes Barbier et Carré ont conservé intact le texte de la pièce pour les dialogues parlés. Ils n'ont « arrangé » Molière que pour faciliter la mise en musique des airs et des duos. C'est sans doute pourquoi le texte parlé n'a pas pris une ride contrairement à ceux de la plupart des opéras comiques et autres opérettes de fin d'année ...

Le maître d'oeuvre est le chef Pascal Verrot qui jubile à la tête de son Orchestre de Picardie. C'est que Gounod n'a pas de secret pour celui qui dirigea voilà une décennie Faust pour inaugurer l'Opéra de Shanghaï dont l'architecte est, ça ne s'invente pas, un descendant de Gustave Charpentier, le père de Louise. Sans clinquant, il fait resplendir cette musique, équilibrant la tenue et l'humour. C'est grâce à lui et à ses musiciens que les solistes se sentent aussi à l'aise.

Chapeau au baryton breton Olivier Naveau qui campe un faux médecin (Sganarelle) à la fois truculent et pince sans rire : une nature prête pour la carrière. Il trouve à qui parler avec le Géronte solide et drôle à souhait de Bertrand Bontoux et aux deux larrons, Lucas et Valère, respectivement Julien Picard et Sacha Michon. Dans la tradition des grandes servantes de Molière, la nourrice de Joëlle Charlier ne manque pas de peps non plus. Seul bémol – mais comment l'éviter car il s'agit d'un rôle... muet! - l'unique air de Lucinde cueillie à froid par une virtuosité rossinienne après avoir fait la carpe pendant plus d'une heure! Il faut bien justifier la célèbre réplique: « Voilà pourquoi votre fille est muette. »

Jacques Doucelin

Abbaye de Royaumont, le Samedi 20 septembre 2008.

Voir un extrait vidéo du Médecin malgré lui lors d’une « Fenêtre sur cour(s) »

Programme des prochains concerts de la Fondation Royaumont

(1) 4 et 6 mai à la Maison de la Culture d'Amiens coproductrice du spectacle, le 13 au Théâtre de Saint Quentin en Yvelines et le 15 à la Faïencerie de Creil. Une reprise de la tournée est prévue en septembre-octobre 2009.

Photo : DR

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