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Rêverie romantique de Thierry Malandain – La magie des sources - Compte-rendu

Trois beaux titres, qui exaltent l’imaginaire, appellent au surnaturel, font battre des ailes : tel était le subtil programme proposé par Ballet Biarritz, axé sur le dernier ballet de Malandain, Rêverie romantique,  et entouré de son Estro et du Sirènes de Martin Harriague, nouveau venu dans l’arène chorégraphique. Un programme presque envoûtant tant il pose de questions sur l’identité de l’inventeur de geste, sur sa façon de s’emparer d’une idée, de l’attirer à lui, de la pétrir de ses propres obsessions.

© Olivier Houeix

Sirènes © Olivier Houeix
 
Du trentenaire Martin Harriague, natif de Bayonne et donc en phase avec le paysage mental biarrot, on peut dire que son travail, son sens du mouvement global, son rapport espace-temps sont étonnants. Il fut en 2016 très remarqué au Concours de Biarritz, remportant notamment le prix des professionnels et celui du public, ce qui lui a ouvert les portes de Ballet Biarritz pour lequel il a pu chorégraphier ce Sirènes, juste récompense de son talent. Danseur à la Kibbutz Dance Company, il a travaillé avec les plus grandes pointures du moment comme Rami Be’er, que l’on verra le 13 juin à Paris. Il parle de l’océan, de ses merveilles, de ses profondeurs menaçantes et enjôleuses. Il le fait avec une magie véritable et sait superbement arrêter ses danseurs sur image ou les lancer dans une sorte de sabbat. Et comme c’est un garçon porté par les questions de son temps, il évoque abondamment le problème de l’invasion du plastique et des déchets mortels pour le bel équilibre de cette mer nourricière. A notre sens, le personnage parlant qui obstrue la scène un peu trop au début de la pièce, pourrait disparaître avantageusement, la chorégraphie étant assez explicite pour s’en passer. Les décors et les éclairages, en revanche, sont magnifiques, pleins de reflets métalliques et argentés qui imposent un autre monde, et les musiques qui portent ces abymes sont fort bien choisies, de Vivaldi et Corelli à Araia et Raupach.

Estro © Olivier Houeix
 
Malandain, lui, était en gloire avec deux pièces majeures : de son Estro, on avait déjà admiré l’extrême qualité graphique, la vivacité endiablée, la folie d’être et de danser, sur une partition célébrissime dont le perpetuum mobile va jusqu’au délire, l’Estro armonico de Vivaldi. Malandain y a choisi les Concertos nos 1,5 et 6, outre des fragments du Stabat Mater. Une sorte de trouble permanent, où la virtuosité de la chorégraphie court aussi vite et loin que celle de la musique et où l’on se joue habilement de tabourets lumineux comme autant de piédestaux, vers un ailleurs de soi. Arnaud Mahouy, Irma Hoffren y ont tourbillonné avec toute la compagnie en une sorte de folle quête, coupée d’instants de recueillement très émouvants.

Rêverie romantique © Olivier Houeix

Vint la Rêverie romantique, pari incroyable dans le parcours d’un chorégraphe qui, malgré son amour des pages classiques, a dû poser une marque plus contemporaine sur son travail, même si son langage  pour l’essentiel, respecte nombre des codes traditionnels. Mais on l’a souvent constaté, Malandain n’est pas trop porté par la satire sociale et la revendication. Il suit ses rêves, et ses thèmes sont souvent purement oniriques. Ici, il rejoint les fantasmes sans doutes les plus chers à son cœur, ceux d’une danse idéalement romantique, idéalement immatérielle, telle que Fokine, retrouvant les empreintes laissées par la Taglioni dans la Sylphide, trois quart de siècles avant, les avaient remises en scène pour les Ballets russes dans sa Chopiniana, devenue Les Sylphides à Paris et qui fut l’une des gloires de la compagnie de Diaghilev. Mais l’homme ne fait pas que rêver, il s’insurge aussi, en finesse, contre le trop beau rôle dévolu aux femmes dans le ballet romantique, et met aussi ailes et tutus vaporeux à ses danseurs, auxquels le fait d’être des faire-valoir ne suffisait sans doute pas. Le tout en gardant les codes sacrés, et notamment le personnage du poète, incarné par un jeune danseur dont on voit grandir depuis cinq ans les capacités d’harmonie, de gestique large et bien dessinée, et aujourd’hui d’aptitude poétique, Hugo Layer, formé au CNSM. Sa Sylphide, Patricia Velázquez, avec un physique gracieux, est peut être un peu fragile sur ses pointes, mais l’idée est belle, et trouble par son regard inquisiteur sur les sources de la danse romantique.
 
 On sait combien Malandain est resté attaché à cet héritage, pour lui sans doute le plus riche, peut être a t’il rêvé lui aussi d’être cette immortelle Sylphide, qui arrache les humains à leur lourde condition, et les dissout dans l’infini grâce à ses ailes et ses pieds légers. Une pulsion d’idéal, infiniment attachante, qui a sans doute surpris un public peu habitué, mais qui s’inscrit magnifiquement, et pourrait t’on dire logiquement, dans le parcours d’un chorégraphe décidément pas comme les autres.
 
Jacqueline Thuilleux

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Biarritz, Gare du Midi, 5 juin 2018 ; même programme au Festival Cadences d’Arcachon, le 21 septembre 2018. www.arcachon.com/festival_cadences.html  

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