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Philippe Pierlot dirige la Passion selon saint Jean de Bach à Notre Dame – Une éloquente unité – Compte-rendu

Le signe des grands concerts à Notre-Dame ? La cathédrale ouvre deux portes pour l'accueil du public – une seule pour les concerts plus « modestes ». Le jeudi 10 mars, les portails nord et sud de la façade occidentale étaient ouverts, bien que sans la foule des plus grands soirs. L'œuvre était pourtant majeure : Passion selon saint Jean de Bach, que Notre-Dame a programmée à plusieurs reprises ces dernières années (dont une, sur des tempos d'enfer, dirigée par Reinhard Goebel(1). La nef était pleine, en cet avant-temps de la Passion 2016, non pas comble, comme si souvent à Notre-Dame : cela tient-il au fait qu'il ne s'agissait « que » d'une coproduction associant la cathédrale, le Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris et le Pôle Supérieur Paris–Boulogne-Billancourt, avec la participation des Conservatoires à Rayonnement régional de Boulogne-Billancourt et de Paris ? Certes les solistes ne pouvaient dès lors qu'être inconnus du grand public, les seules figures de proue étant le chef et gambiste liégeois Philippe Pierlot (photo), membre cofondateur et actuel directeur du Ricercar Consort, auquel incombait d'unifier ces forces multiples – ce qu'il fit avec empathie pour une approche chaleureusement dynamique – et Henri Chalet, qui avait préparé de main de maître le remarquable Chœur d'Adultes (2) de la Maîtrise Notre-Dame de Paris. La collaboration entre Notre-Dame et le CNSMDP est devenue une tradition au fil des saisons, dans les répertoires les plus divers : de Bach, déjà à l'honneur en novembre 2010 pour l'Oratorio de Noël (3), à Messiaen (4).

Henri Chalet © DR

La soirée fut à tous égards de haute tenue, non pas du fait qu'il s'agissait d'« étudiants », mais bien en raison de l'impressionnant niveau musical des instrumentistes et des chanteurs, d'une éloquente unité, souplement et ardemment fédérés par Philippe Pierlot, les parties s'étant indéniablement montrées à la hauteur du tout, ce qui n'est pas peu dire. À la différence de celle de Reinhard Goebel, la direction de Philippe Pierlot opta pour des tempos aussi enlevés, juste reflet de la juvénile énergie des participants, qu'allant scrupuleusement dans le sens de la dramaturgie de l'œuvre, sans la moindre solution de continuité et sans jamais sacrifier la poésie de la musique – pas davantage sa véhémence : puissant soutien des voix, l'orchestre fit montre d'un parfait esprit de corps, d'une formidable vaillance dans des « scènes de foule » (turbae) à l'impact acéré.
On sait combien la cohérence et la ductilité d'une Passion, flux respirant au gré de ses multiples composantes, repose notamment sur la grandeur du narrateur : Constantin Goubet, à l'instar du plateau de solistes de manière générale, fut en évangéliste tout simplement magnifique : timbre vibrant d'humanité, avec l'éclat, l'engagement et l'assurance qui font les évangélistes dans l'âme, d'une voix souple et investie dans le récit du drame : le travail sur la langue allemande (comme pour pratiquement tous les intervenants, et notamment le Chœur) s'y révéla de première grandeur, l'art de reprendre le fil de la narration ou d'introduire la réponse soliste, le chœur ou l'air suivant, d'une vive continuité. Bien que vocalement assurée, la basse Marcel Raschke – Jesus – fut assurément en deçà en termes de souplesse et surtout de stature ou de gravitas, tout comme le baryton Jérôme Collet en Petrus – l'un et l'autre sans doute plus à l'aise dans les airs de la Seconde Partie qui leur revenaient : Betrachte meine Seele et Mein teurer Heiland avec chœur.
 
La première intervention soliste de l'œuvre est l'air d'alto Von den Stricken meiner Sünden : quel choc émotionnel que d'entendre une voix d'une aussi constante aisance, impressionnante de puissance et de projection, au timbre franc et chaleureux, articulée et respirant la langue avec sensibilité : magnifique Paul-Antoine Benos, dont la seconde intervention, vers la fin de la Passion, fut un moment de grâce – Es ist vollbracht, chef-d'œuvre absolu de dolorisme luthérien, certes, mais interprété avec une telle force et profondeur que l'assistance ne put qu'en être bouleversée.
Au premier air d'alto fait immédiatement suite le premier air de soprano, Ich folge dir gleichfalls mit freudigen Schritten : la soprano Marie Perbost y apparut d'emblée d'une éclatante aisance – voix généreuse et lumineuse, mêlant délicatesse et puissance, sans doute un peu extérieure dans ce premier air (seul moment de la soirée sur un tempo rappelant Goebel : compliments aux deux flûtes émérites qui doublaient l'air sur ce tempo si vif), beaucoup plus émouvante, et toujours aussi lumineuse, dans le second air de soprano, le dernier de la Passion : irrésistible Zerfliesse, mein Herz – le premier hautbois, Neven Lesage, d'une singulière et remarquable présence tout au long de l'ouvrage, y tenait avec éloquence l'envoûtante partie de hautbois da caccia.
 
Les airs de ténor – le quasi expressionniste Ach, mein Sinn et le non moins redoutable, en particulier pour le souffle, Erwäge – étaient confiés à Sahy Ratianarinaivo : autre voix saine et puissante, timbre immaculé et solaire, pour une interprétation dramatiquement peu engagée mais d'un éclat incontestable. D'une présence vocale et dramatique affirmée, Andrés Prunell Vulcano fit forte impression en Pilate, vivant le texte avec intensité, ainsi que dans l'air Eilt, ihr angefocht'nen Seelen avec chœur : superbe Wohin ? mettant à profit l'acoustique magique du lieu (comme dès le tout début cette suspension inspirée entre les deux sections du chœur d'entrée : Herr, unser Herrscher).
 
À l'aune du défi que représente une telle œuvre, relevé avec panache et d'infinies qualités musicales, on reste confondu devant tant de professionnalisme et de maturité de la part de musiciens aussi jeunes et néanmoins pleinement aguerris : non pas une promesse pour demain, mais bel et bien, ainsi qu'on le ressent chaque fois, les premiers fruits bien plus que simplement prometteurs de musiciens d'ores et déjà brillamment investis dans la vie musicale.
 
Michel Roubinet
 

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(1) Passion selon saint Jean – Notre-Dame de Paris, 5 et 6 avril 2011
www.notredamedeparis.fr/Passion-selon-Saint-Jean-de-BACH
 
(2) Chœur d'adultes de la Maîtrise Notre-Dame de Paris
www.musique-sacree-notredamedeparis.fr/#!le-chur-dadultes/c4r
 
(3) J.S. Bach – Oratorio de Noël (I à III)
www.concertclassic.com/article/compte-rendu-le-cnsmdp-et-notre-dame-font-alliance-neuf-chefs-pour-bach
 
(4) Centenaire de la naissance d'Olivier Messiaen
www.concertclassic.com/article/paris-compte-rendu-messiaen-notre-dame
 
Sites Internet :
 
Musique sacrée Notre-Dame de Paris
www.musique-sacree-notredamedeparis.fr
 
Philippe Pierlot – Ricercar Consort
ricercarconsort.com
 
Henri Chalet, chef de chœur
www.musique-sacree-notredamedeparis.fr/#!les-chefs-de-chur/c1rs9
 
Photo Philippe Pierlot © Jean-Baptiste Millot
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