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Pelléas et Mélisande de Maeterlinck à l’Athénée - Tout Allemonde lointain – Compte-rendu

Le projet était culotté, autant qu’est non-identifié l’objet scénique qui en résulte. Remettre en musique Pelléas et Mélisande, vraiment ? Oublier Debussy, alors, comme premier devoir ? Pas tout à fait, puisque la partition conçue par Nicholas Stücklin ne recule pas devant la citation explicite : tout le début de la scène de la tour est chanté par les protagonistes, mais si la ligne de chant est alors conservée, ce que fait « l’orchestre » est bien différent. Invoquant comme sources d’inspiration Angelo Badalamenti (associé à David Lynch), l’Islandais Jóhann Jóhannsson et les sons synthétisés du Chiptune, le compositeur propose une sorte de bande-son qui sert tantôt d’atmosphère à l’arrière-plan du texte parlé, tantôt de contrepoint au texte chanté, et qui prend parfois le dessus dans les moments où elle est pour ainsi dire seule en scène, pilotée par Florent Lattuga aux claviers. Voix amplifiées, instruments désaccordés, sons délibérément conçus comme « lancinants et répétitifs », tout est fait pour désorienter le spectateur, ce qui revient en somme à tenter de rendre à Maeterlinck son étrangeté initiale. Car environ un siècle et quart après la création théâtrale et surtout lyrique de Pelléas et Mélisande, le symbolisme du dramaturge belge semble avoir été presque totalement apprivoisé, assimilé, normalisé (sauf pour ceux qui restent réfractaires à l’opéra de Debussy). La méthode est radicale, mais efficace. Comme Debussy, le metteur en scène Julien Chavaz opère des coupes dans le texte : parfois les mêmes – suppression de la scène 1 de l’acte I, par exemple –, parfois bien différentes, ce qui permet de redécouvrir notamment la première scène où, chez Maeterlinck, apparaît Yniold (III, 1). Alors que de longs monologues se réduisent à quelques mots, quelques bribes de phrase, une connaissance préalable de l’œuvre peut s’avérer utile.

Dans un décor en forme de piscine vide surmontée de rideaux de douche, mais percé de trappes et offrant plusieurs niveaux de jeu, le spectacle parvient malgré tout à instaurer l’étrangeté souhaitée, grâce à des éclairages qui suffisent à créer une forêt ou une grotte bleue, sans parler des effets stroboscopiques habilement exploités. Les costumes aussi surprennent, d’autant qu’ils renforcent un parti pris qui va à l’encontre de ce à quoi Debussy nous a habitués : représentants du patriarcat triomphant, Golaud et Arkel sont ici des figures parfaitement ridicules, êtres ventripotents et bestiaux. Kiyan Khoshoie est un vieux roi d’Allemonde qui danse, déclame, ricane, chante et joue, prestation étonnante et à cent lieues de l’habituel sage un peu pontifiant ; Charlotte Dumatheray compose un Golaud d’abord presque caricatural dans sa beaufitude, terrifiant ensuite. Yniold délicieusement puéril, puis médecin, Aurélien Patouillard surmonte les écueils de son rôle d’enfant. Geneviève étant réduite à une voix off, le danseur et les deux acteurs ont pour partenaires deux chanteurs lyriques : Vincent Casagrande, qui prête à Pelléas la candeur attendue, mais dont on ne découvre véritablement le timbre que durant la citation debussyste évoquée plus haut, et surtout Sarah Defrise, stupéfiante Cunégonde de Candide à Liège, dont la voix se plie ici avec virtuosité à une oscillation constante entre le chuchotement et le chant, en passant par le sprechgesang, tout en cultivant son personnage ambigu. Loin des visions trop réalistes qui ont souvent prévalu ces dernières années sur les scènes d’opéra, Maeterlinck retrouve enfin son mystère.

Laurent Bury

Maeterlinck : Pelléas et Mélisande – Paris, Athénée Théâtre Louis-Jouvet, 10 juin ; prochaines représentations les 15, 16, 19 et 20 juin 2021 // athenee-theatre.com/saison/spectacle/pelleas_et_melisande.htm
 
Photo © Magali
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