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​Parsifal selon Kirill Serebrennikov à l’Opéra de Vienne (Streaming) - Parsifal chez les mafieux russes - Compte-rendu

En délicatesse avec le pouvoir en Russie, l’ex directeur de théâtre, cinéaste (auteur de Leto) et metteur en scène, Kirill Serebrennikov poursuit malgré tout son combat et son métier d’artiste en réalisant à distance les spectacles que l’Europe veut bien lui confier. Vienne vient ainsi de lui permettre de créer son premier Parsifal (à la mise en scène duquel il a travaillé avec Evgeny Kulagin) et, comme l’on pouvait s’y attendre, le choc procuré par sa lecture est violent. Le Russe n’est pas le seul à avoir adapté et modernisé l’ultime chef-d’œuvre wagnérien, mais sa vision concentrationnaire, d’une extrême actualité, a rarement eu autant d’écho et d’impact avec notre société contemporaine.
Ainsi l’expérience qu’il nous propose de vivre, même si elle n’est pas toujours immédiatement limpide, s'avère pourtant incarnée et plausible. Car plus que jamais il va être question ici de cheminement (de connaissance de soi et des autres) et de douleur, pour parvenir à la rédemption et au miracle suprême. Dans cette conception très personnelle, les Chevaliers du Graal, une sorte de mafia dont les prisonniers sont retenus dans les geôles de Montsalvat, tous unis autour du « parrain » Amfortas, qui purge une double peine, car en plus d’être retenu il est blessé et voudrait mourir. Kundry, superbe photo-reporter qui travaille pour le compte d’un agent de mannequins corrompu, réalise un reportage ce qui lui permet d’approcher ce monde d’hommes secrets et dangereux. En parallèle, Parsifal, un éducateur au grand cœur, qui se souvient avoir été lui aussi utilisé pour ses charmes et sa candide beauté, travaille à la réinsertion des membres de cette communauté en collaboration avec Gurnemanz, qui veille à faire régner l’ordre.
 
Georg Zeppenfelg (Gurnemanz) et Elina Garanča (Kundry) © Wiener Staatsoper / Michael Pöhn

Conscient de la mission qui lui est impartie, Parsifal accompagne un jeune détenu, « héros » fraîchement arrêté, repéré par la photographe qui voudrait en faire une vedette (rôle muet joué avec beaucoup de justesse par le comédien Nikolay Sidorenko). Au second acte le château magique de Klingsor est un confortable bureau de l’agence Schloss (château en allemand) où le directeur, entouré d’une myriade d’assistantes, prépare une séance photos avec le jeune inconnu découvert en prison. L’agence est en émoi quand ce dernier pose en cuir devant une croix, mais tout se complique lorsque Kundry passe à l’initiation sexuelle du jeune homme, sous les yeux révoltés de Parsifal qui ne supporte pas de revivre son passé. Kundry excédée par le retour inopiné de son patron qu’elle exècre, se retourne vers lui et le tue. Le dernier acte marque le retour à la prison de Montsalvat où Kundry, à son tour emprisonnée (en raison de son crime), s’occupe en fabriquant des crucifix en bois. Parsifal est également présent exténué par un long périple ; c’est le jour du Vendredi saint et Gurnemanz, heureux de le retrouver en ces lieux, le consacre, pour avoir accompli et partagé ses souffrances. L’apprenti mannequin apparait et retrouve Kundry en l’enlaçant sous les yeux, émus cette fois, de Parsifal. Les chevaliers du Graal se recueillent autour d’Amfortas qui demande à mourir en répandant les cendres de son père Titurel, récemment décédé. La lance rapportée par Parsifal lui permet de guérir miraculeusement Amfortas ; à ce moment le jeune Parsifal ouvre une à une les portes des cellules et libère les détenus qui quittent Montsalvat en ce jour exceptionnel de rédemption.
 

Elina Garanča (Kundry) & Wolfgang Koch (Klingsor) © Wiener Staatsoper / Michael Pöhn

Les très réalistes décors éclairés avec méticulosité, les costumes et les superbes photos et vidéos (sous forme de triptyque situé au-dessus du cadre de scène) qui accompagnent cette longue et noire fresque, permettent au spectateur de s’immiscer dans ce monde retranché et d’en étudier les codes. Tatoués sur tout le corps, chaque chevalier possède ainsi la clé de cette confrérie aux pratiques étranges basée sur la violence, l’honneur et la fraternité. Si la présence du double de Parsifal (le comédien Nikolay Sidorenko, photo à g.) n’est pas toujours immédiatement évidente, elle éclaire cependant certains comportements et symbolise la pureté du « Chaste fol » face à l’hostilité extérieure, traduite par une saisissante direction d’acteur, autre point fort de cette mise en scène coup de poing.
 

Jonas Kaufmann (Parsifal) © Wiener Staatsoper / Michael Pöhn

Visiblement convaincu par la proposition de Serebrennikov, Jonas Kaufmann (photo à dr. ) joue avec beaucoup de conviction ce rôle d’éducateur-protecteur et de sauveur d’une communauté qui court à sa perte. Dans une condition vocale sensationnelle, le ténor n’a aucun mal à faire vivre son personnage dont la tessiture lui convient toujours malgré les années. Puissant, délicat, tout en nuances et chanté sans le moindre effort apparent, ce nouveau portait de Parsifal vient s’ajouter à une liste prestigieuse qui ne rétrécit pas avec le temps.
 La Kundry glamour et lascive d’Elina Garanča est sans doute la première d’une longue série, car la mezzo lettone se glisse non seulement sans difficulté dans les plis de son héroïne, d’une voix large au riche ambitus, à l’aigu brillant et au grave déployé, mais se plait à l’interpréter avec un talent que nous ne lui connaissions pas. Inspirée, surprenante et passionnante, elle a tout pour succéder à la plus accomplie des Kundry, celle de Waltraud Meier. Georg Zeppenfeld, à qui revient l’insigne honneur de tatouer les prisonniers, prête son timbre racé et sa forte personnalité à Gurnemanz ; à Wolfgang Koch revenant le rôle de Klingsor dont il ne fait qu’une bouchée et à Stefan Cerny celui de Titurel. Très attendu en Amfortas, une prise de rôle qui arrive au bon moment, Ludovic Tézier est admirable dans ce personnage dont il possède le verbe, la ligne et l’envergure vocale, promenant sa lancinante douleur et ce désespoir abyssal avec la plus haute sincérité.
Engoncé dans son habit, le cou serré, le visage fermé malgré de belles mains expressives, Philippe Jordan n’emporte pas l’adhésion en privilégiant la lenteur sans pour autant animer d’une véritable flamme intérieure cette immense partition, aux allures de requiem. La qualité sonore de l’orchestre viennois est indéniable mais on a connu des directions plus envoûtantes, seul bémol à cette nouvelle production parfaitement mise en images par le réalisateur Michael Beyer.
 
François Lesueur

 
Richard Wagner : Parsifal -  En streaming sur Arte TV jusqu’au 17 mai 2021 : www.arte.tv/fr/videos/102879-000-A/richard-wagner-parsifal/
 
Photo © Wiener Staatsoper / Michael Pöhn
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