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Paris - Compte-rendu : La vérité sur Don Giovanni, Haneke met en scène le chef-d’œuvre de Mozart

La transposition de l’action à notre époque et dans l’univers pas si déshumanisé qu’on a bien voulu le dire d’une city est anecdotique. C’est pourtant elle qui a, en partie, échauffé les esprits lors de la première de cette nouvelle production signée Michael Haneke. Mais l’essentiel n’est pas là. Haneke a réinvesti le domaine de l’opéra d’un vrai sens du théâtre. Sa direction d’acteur éclaire les arcanes d’une œuvre que l’on croit trop vite acquise. Pour étayer son propos il prend une liberté en regard de la partition, celle de ménager entre les airs et les récitatifs des plages silencieuses où les personnages trouvent l’espace nécessaire pour se révéler. Le spectacle y gagne en longueur et en intensité, au point qu’il est difficile d’échapper à sa logique interne longtemps après que Donna Elvira ait poignardé Don Giovanni. C’est la seconde licence que s’autorise Haneke, mais elle est la conséquence inévitable de sa relecture.

Unité de lieu, un seul décor, couloir de bureau donnant sur une verrière, ascenseur, jeux de portes, coin cafétéria pour la scène finale, deux niveaux, une coursive à l’étage, le tout offrant une fluidité pour les déplacements dont Haneke joue en virtuose mais sans ostentation. Unité de temps : une nuit, commencée et finie dans le sang. La pâleur de l’aube donne tout son sens à la médiocre coda que Mozart ajoutât en codicille à la mort de son héros : le temps de la normalité est vainqueur. Haneke sait bien que cette nuit est la propriété de Don Giovanni, son vrai visage. Toute l’action se déroule dans la pénombre, cet entre chiens et loups qui fait que Leporello et son maître peuvent s’intervertir.

Les éclairages seront latéraux et révélateurs. André Diot les a conçu comme l’un des ressorts dramatiques du spectacle, intégrés au propos du metteur en scène. Le commandeur ne revient pas statufié, mais simple cadavre, et il faut voir comment Don Giovanni l’accompagne dans son agonie, le soutenant doucement jusqu’au sol dans une étreinte charnelle. Les rapports avec Leporello sont tout aussi fascinants, Don Giovanni l’embrasse, le fait profiter de son surcroît sexuel, et le valet mêle une ironie glaciale avec une tendresse embarrassée. Haneke réussit également les portraits féminins, et surtout Donna Elvira. Si Mireille Delunsch était en très mauvaise voix lors de cette matinée, Haneke a trouvé en elle l’actrice sidérante que l’on sait. Le décalage avec le Donna Anna sommaire et courte de projection de Christine Schäffer est cruel. Il a également, durant les répétitions, renoncé à la Zerline de Karine Deshayes, l’une des meilleures interprètes de ce rôle, car elle ne se pliait pas à sa direction.

Aleksandra Zamojka joue avec beaucoup de finesse, mais son timbre vinaigré ne nous console pas de ce changement de distribution. Les hommes eux sont sans reproches. On sait que Peter Mattei est, avec Wojtek Drabowicz, le Don Giovanni de notre temps. Haneke l’a poussé dans ses derniers retranchements, déclenchant une ivresse sensuelle inextinguible, une vitalité dangereuse, et réinterprétant l’air du champagne comme une explosion d’agressivité : juste avant Don Giovanni avait flirter avec l’idée du suicide, penché sur le vide sidéral. Haneke, lui faisant ouvrir la verrière laisse sourdre la rumeur affreuse de la ville, moment vertigineux et atroce.

Pisaroni, jamais buffo, possède exactement la tessiture de son rôle. Jeu sobre ; au physique il possède la même corpulence que Mattei, les confondre est inévitable. En deux gestes, Robert Lloyd est le Commandeur, voix abyssale mais jamais métaphysique, un père aimant, et jusqu’à Masetto, l’excellent David Bizic, trouve une stature qui le sauve de son emploi de faire valoir. Reste le mystère Don Ottavio. Du moins Haneke lui donne-t-il une réelle épaisseur humaine, mais le ténor élégant sinon transcendant de Shaw Mathey y paraît trop anonyme. En fosse, Cambreling dirige sombre, hanté, pas toujours avec ses chanteurs qu’il surveille pourtant, mais ses tempos sont trop amples, soulignent plus qu’ils n’animent. Aimerez-vous ce Don Giovanni autant que nous ? Vous l’aurez compris, à nos yeux il fut un révélateur.

Jean-Charles Hoffelé

Don Giovanni, Palais Garnier le 5 février, puis les 8, 10, 13, 17, 20, 23 et 25 février.

Portfolio de mise en scène (4 photos)

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Photo : Eric MAHOUDEAU/ Opéra national de Paris

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