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Paris - Compte-rendu : La liberté de Georges Prêtre


À quatre-vingt quatre ans, Georges Prêtre n’a plus rien à prouver. Rare dans l’Hexagone, fêté dans le monde entier, il peut se permettre désormais de privilégier les orchestres avec lesquels il se sent en sympathie et diriger comme il l’entend sans se soucier des traditions et des habitudes acquises. L’Orchestre de l’Opéra de Paris entretient avec lui un esprit de famille et a plaisir à jouer sous sa direction toujours aussi singulière qui sait lâcher la bride puis reprendre les rênes au moment opportun.

Le programme que Prêtre propose est à son image. En première partie, le répertoire germanique qu’il a tant pratiqué est représenté par la Symphonie n°3 en fa majeur opus 90 de Brahms. L’interprétation ne ressemble à rien de ce que l’on connaît. Plus sensible à la dimension viennoise qu’à l’épopée nordique, au sourire qu’au drame, Georges Prêtre propose une balade, herborisant dans la forêt, musardant dans les bois, s’arrêtant un moment pour contempler les couleurs du ciel. Rien de ce Brahms de Hambourg renfrogné et piquant, mais plutôt un peintre sensuel, lyrique, qui se fait le cas échéant sculpteur de la matière avec un raffinement sonore privilégiant les humeurs plutôt que la structure.

Le troisième mouvement (Poco allegretto) – celui qui a contribué, par le film Aimez-vous Brahms ?, à populariser le compositeur – devient, par la préciosité et la lenteur du tempo, un moment de tendresse presque excessif comme si le temps s’arrêtait.

En seconde partie, Les Tableaux d’une exposition de Moussorgski dans l’orchestration de Ravel font aussi partie de ces pages que Prêtre a toujours su magnifier. Il y retrouve la rutilance, le pittoresque narratif, les couleurs, le legato fluide, qui sont sa signature. S’attachant à rendre les contrastes entre chaque pièce, attribuant à chaque moment une ambiance particulière, creusant la pâte sonore (Catacombes), appuyant le trait quand il le faut (La grande porte de Kiev), sa vision éminemment personnelle ne cesse de séduire par un grand art toujours au service de l’expression. Il tire ainsi de l’Orchestre de l’Opéra de Paris le meilleur de lui-même. Chaque instrumentiste (en particulier les bois et les cuivres, d’une remarquable tenue) se sent engagé, capté par l’autorité souriante et ferme d’un maître ès orchestre dont les mains semblent être le prolongement de la musique.

Michel Le Naour

Paris, Opéra Bastille, 24 novembre 2008

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Photo : DR

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